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Mylène Paquette : Le rêve vivant de la montagne

Le 7 juillet 2018, une image fait la une des nouvelles. C’est la photo d’un homme dans la cinquantaine, souriant et heureux. Il semble radieux, épanoui. Cette photo, c’est celle de Serge Dessureault, l’alpiniste québécois qui a fait une chute mortelle sur le K2 en tentant d’en gagner le sommet.

Ceux et celles à qui il est inconnu découvrent alors son existence; pour les autres, c’est la consternation. Apprendre qu’un proche est disparu en montagne a de quoi secouer l’esprit. La nouvelle est difficile à comprendre et à accepter, les questions demeurent en suspens, les réponses viendront sans doute avec le temps.

Je ne vous parlerai pas de Serge, que je ne connaissais que de réputation. Mais je peux vous parler du feu qui habitait l’homme et qui le motivait à poursuivre la réalisation de cet exploit.

Tout le monde ne peut pas comprendre la passion qu’entretiennent certains alpinistes pour la haute montagne. D’abord, plusieurs réalités de ce type d’aventure en rebutent plus d’un : le froid, le manque d’oxygène, le vertige... Ensuite, le désir d’accomplissement est moins présent ou s’exprime dans des champs d’activité plus terre à terre chez d’autres.

Cependant, tous rêvent de s’accomplir, de se réaliser et d’atteindre un objectif plus ou moins grandiose au cours de leur existence. Bien souvent, on se contente de caresser ses rêves et on ne s’autorise pas à aller plus loin parce que le coût en énergie à déployer dépasse grandement le bénéfice que l’on pourrait en retirer en les réalisant. Alors, on fait des choix.

Si les aventures diffèrent, les chemins qui y mènent sont similaires puisqu’ils promettent bien des découvertes. Celles-ci ne sont pas qu’extérieures — la beauté de la montagne, de l’océan ou des éléments — et s’avèrent parfois bien plus personnelles. On en apprend ainsi davantage sur soi-même grâce à tous les passages obligés de la route, dont les rencontres humaines.

Cette année seulement, une soixantaine d’alpinistes feront le choix de quitter leur foyer pour tenter de toucher le sommet du K2, en sachant très bien qu’ils pourraient ne pas en revenir. Malgré les risques élevés de s’attaquer au deuxième plus haut sommet du globe, ces adeptes de la montagne trouveront une façon de persuader leurs proches de les laisser partir.

S’ils en sont capables, c’est que la passion qui brûle en eux doit être immense et absolue. Vraisemblablement, cette quête de découverte est plus grande que nature. Mais qu’est-ce qui les motive malgré le danger qui les guette?

Un alpiniste peut s’évertuer à décrire l’appel qu’il ressent pour la montagne, un autre peut révéler en détails sa première rencontre avec la paroi ou expliquer toutes les sensations qui l’habitent lorsqu’il vit sa passion... Chacun s’efforcera de trouver une justification morale pour tenter sa chance dans cet univers où la vie est l’enjeu constant de la partie.

Mais les motivations profondes qui nous poussent à atteindre de grands objectifs sont souvent imperceptibles, même par nous-mêmes, au moment du départ. Car c’est en route vers l’accomplissement de sa volonté que l’on explore et découvre des aspects de soi-même jusque-là insoupçonnés, et qui sont mis à l’épreuve autant en relation avec soi-même qu’avec les autres. Combien d’alpinistes ont renoncé au sommet pour venir en aide à un inconnu en difficulté?

C’est le chemin qui mène au sommet qui nous permet de nous élever en tant qu’humains. Et c’est à cause de toutes ces fois où l’on renonce au sommet que la montagne est si immense.

Pour que la victoire existe, il faut que la possibilité de perdre la partie soit présente. C’est un simple rapport de forces; plus le défi est grand, plus les chances de le réaliser sont minces, et plus il y a risque de renoncer, d’abandonner ou de perdre. Parfois même ce que l’on a de plus cher.

Le 7 juillet dernier, Serge était sûrement comblé en gravissant la montagne qui l’attendait. Ce jour-là, il a mesuré chaque geste, chaque déplacement, chaque mouvement. Et bien malgré lui, un faux pas l’a emporté.

Mais ce jour-là, Serge était heureux d’être sur la montagne, à vivre pleinement une expérience à laquelle il rêvait depuis si longtemps. Le bonheur d’être là était plus grand que tous les écueils de son parcours. « Le sport, c’est ce qui me tient en vie! » avait-il dit en entrevue à Salut Bonjour le 18 octobre 2017.

Vous savez quoi? Je ne pense pas qu’on doit voir la montagne comme quelque chose qui emporte ses passionnés. Je crois qu’il faut la voir comme une entité qui les fait vivre, qui leur insuffle l’élan qui les rend aussi vivants.

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