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  • Motoneigistes © Shutterstock

Motoneiges dans les parcs nationaux : mesure temporaire ou dangereux précédent?

En décembre dernier, le gouvernement Legault autorisait la circulation des motoneiges sur un sentier du parc national du Mont-Tremblant. Une décision controversée qui ne fait ni le bonheur des uns, ni l’affaire des autres. Le point.

« Enfin, plus de motoneiges dans notre parc ! » Ainsi se sont réjouis les pleinairistes purs et durs à la suite de l’interdiction des motoneiges dans le parc national du Mont-Tremblant, en 2013. Depuis des années, les tables de concertation se multipliaient entre les différents acteurs économiques locaux. Ces « machines du diable » étaient enfin boutées hors du périmètre de ce territoire placé sous haute protection en vertu de la Loi sur les parcs.

Cinq ans plus tard, la toute première mesure du gouvernement caquiste, émise par le Ministère des forêts, de la faune et des parcs, accorde une « autorisation conditionnelle et exceptionnelle » aux motoneigistes sur un tronçon de 28 km, le sentier Caribou, dans le secteur Pimbina du parc national. Ce tronçon, qui relie Saint-Donat à Saint-Michel-des-Saints, est situé à 12 km du chalet le plus proche et aucune activité de plein air n’y est pratiquée durant l’hiver.

« Cette mesure est temporaire et soumise à plusieurs restrictions [voir l’encadré], précise Simon Boivin, porte-parole de la Sépaq, et elle n’ouvre aucunement la porte à d’autres permis qui seraient accordés dans d’autres parcs nationaux. Le ministre l’a assuré : C’est une exception! »

Reste que la dérogation, promise en campagne électorale, a provoqué dès son application un tollé d’indignation chez les amateurs de plein air et chez les défenseurs de l’environnement. Pour le principe, surtout : en cette ère de préoccupation généralisée sur les impacts des émissions des gaz à effet de serre, ce retour en arrière est en totale contradiction avec les recommandations des experts.

« Mettre le parc national en valeur et les attraits touristiques en périphérie, c’est ça qui devrait être la priorité, insiste Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP). Notre défi, c’est d’augmenter notre réseau d’aires protégées, pas de mener des batailles pour celles qu’on a déjà ! »

Mais qu’est-ce qui peut bien motiver ce gouvernement à privilégier les amateurs de motoneige au détriment des skieurs ou des raquetteurs, adeptes  d’expériences nature « propres »?

Le nerf de la guerre

« Dans la région de Lanaudière, la seule activité  économique, c’est le tourisme, explique Jean-Claude Brunso, propriétaire de l’Auberge Fleuron à Saint-Donat et amateur de plein air. Depuis la fermeture du parc aux motoneiges, environ 20 établissements hôteliers et commerces de Saint-Donat ont dû fermer leurs portes. Car si les activités y sont nombreuses en été, en hiver, elles tournent autour de deux pôles uniques : ski alpin et motoneige ».

Fait à noter : les motoneigistes représentent 90 % des visiteurs qui s’aventurent jusque-là en hiver. Le touriste de villégiature, lui, est loin d’être aussi dépensier car son escapade se limite bien souvent à un jour ou deux quand le motoneigiste étend généralement son séjour à une semaine.

Le problème, c’est que la voie de contournement comme alternative au parc, promise en 2013, n’a toujours pas été complétée, mais elle devrait l’être dès cet hiver, promet la Sépaq. Après ça, exit la motoneige! « Mon œil! Ironise Lou Lamontagne, fervente adepte de plein air depuis 50 ans, et qui connaît ce parc  comme le fond de son sac à dos. Une fois qu’un territoire est ouvert aux motoneiges, c’est extrêmement difficile de les en faire sortir! »

C’est ce tronçon manquant, entre Saint-Faustin-du-Lac-Carré et Mont-Tremblant, qui décourageait les motoneigistes de se rendre jusqu’à Saint-Donat, enclavé dans le parc national du Mont-Tremblant. Pour passer dans le village, ceux-ci étaient jusqu’ici contraints de faire un aller-retour d’environ trois heures – aller-retour qu’ils ne faisaient plus.

« Le tourisme de motoneige est un tourisme de passage qui privilégie les boucles aux aller-retour, précise Jean-Claude Brunso. Et les retombées économiques associées à la pratique de la raquette ou du ski de fond dans le parc ne sont rien, face à celles générées par la motoneige ! » Selon l’Étude sur les retombées économiques de la motoneige dans la région de Lanaudière en lien avec le parc national du Mont-Tremblant, réalisée en 2005, les effets de la fermeture du parc aux motoneigistes équivaudraient à une perte chiffrée de 7,4 millions de dollars annuels pour la région.  

« L’idée est de redonner un nouveau souffle à Saint-Donat, renchérit Jean Michaud, président du Club de motoneige de Saint-Donat. Car le message des motoneigistes américains, les visiteurs majoritaires dans la région (et ceux qui dépensent le plus), était unanime jusque-là : on reviendra quand le parc sera rouvert à la circulation!

Durant les Fêtes de fin d’année, il semble que la réouverture du parc aux motoneigistes ait eu l’effet escompté, selon Véronique Therrien, préposée au Bureau touristique de Saint-Donat. « Fin décembre, nous avons observé un nouveau record d’affluence mais il faudra attendre les retombées des promotions à l’international pour savoir si le phénomène est là pour durer ». Des promotions qui mettront de l’avant la voie de contournement, une fois que celle-ci sera complétée.

Encore là, cette décision ne fait pas l’unanimité, même chez les motoneigistes, nombreux à vouloir que l’autorisation perdure après le parachèvement de la voie de contournement. « L’accès aux motoneiges doit être maintenu, sinon la région mourra de sa belle mort au nom de l’environnement ! » résume le président du club de motoneige de Saint-Donat.

Le Ministère des forêts, de la Faune et des Parcs a annoncé, dans un même élan, la création d’un comité de travail spécial pour « prendre acte de l’ensemble des enjeux de développement économique de la municipalité de Saint-Donat ». Le résultat de cette réflexion est promis pour la fin du mois de janvier. « Nous allons veiller à ce que le capital nature y soit mis en valeur », promet Alain Branchaud de la SNAP, qui insiste sur le risque « d’envoyer le signal à l’international que nos parcs sont fréquentés par des motoneiges ! »

Car la plus grande crainte exprimée par la communauté du plein air, c’est de voir cette « autorisation spéciale » s’étendre à l’ensemble du réseau. On se souvient des pressions qu’avaient exercé, en 2014, le Club de motoneige Lynx de Deux-Montagnes pour avoir le droit de circuler dans le parc national d’Oka. Même si le club a abandonné cette bataille depuis, cette perspective ouvre la porte à bien des débats animés entre deux communautés difficilement réconciliables…


Accès sous conditions

Jugées trop restrictives par certains motoneigistes, les mesures temporaires sont fermes et leur violation peut entraîner des amendes plutôt salées. Les motoneiges sont donc permises dans le parc du Mont-Tremblant :

  • seulement sur le Chemin 7 et une partie du Chemin 3, entre Saint-Donat et Saint-Michel des Saints (28 km), et nulle part ailleurs;

  • entre 7 h et 21 h et à une allure maximale de 50 km/h, aucun arrêt ni hors-piste n’étant permis sur ce tronçon;

  • si elles sont dotées d’un moteur quatre-temps (les deux-temps sont proscrits);

  • si les motoneigistes paient le droit d’accès au parc.


Rappel historique

En 1975, la motoneige a été réintroduite dans plusieurs parcs du réseau des parcs nationaux : Mont-Tremblant, Pointe-Taillon, Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie, Monts-Valin et Mont-Orford. Celles-ci ont été interdites d’accès à partir de 2000. Il a fallu attendre 2016 pour que cette interdiction s’étende à tout le réseau.

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