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  • Crédit: Jean-Pierre Huard, Sépaq

Orford, une histoire à finir...

L'annulation du projet de privatisation du Parc national du Mont-Orford est l’une des grandes victoires du mouvement citoyen québécois. L’avenir de sa station de ski demeure toutefois en suspens.

« C’est une bataille qui va faire l’Histoire. (...) Jamais plus un gouvernement ne touchera à un parc national. » Cette affirmation de Claude Dallaire et Gisèle Lacasse-Benoît, respectivement coordonnateur et initiatrice de la coalition SOS Parc Orford, a été prononcée le 11 septembre dernier, au moment de la dissolution officielle de ce regroupement. Représentant onze organismes de divers secteurs, la coalition a mené durant quatre ans une dure bataille contre le gouvernement. Au cœur du débat, la loi 23. Celle par qui les autorités voulaient privatiser 459 hectares du Parc national du Mont-Orford, dont les monts éponyme et Alfred-Desrochers. L’opération devait permettre au gestionnaire de la station de ski Mont-Orford d’y faire du développement immobilier afin de rentabiliser ses opérations, affligées de déficits chroniques.

Quatre années riches en péripéties de toutes sortes : limogeage d’un ministre (Thomas Mulcair), poursuites multiples, dont une de 35 M$, pétition de 86 000 noms, marche de 12 000 protestataires à Montréal. « Plusieurs personnes ne se seraient pas embarquées dans la cause si elles avaient su que ce serait aussi long », dit Claude Dallaire, un conseiller syndical. Le débat aura aussi divisé les citoyens de la région : « Nous nous sommes fait massacrer sur la place publique et traiter de tous les noms », se remémore Claude Dallaire. « Il y a des gens qui ont arrêté de me parler », rajoute Robert Benoît, ex-député du comté d’Orford. Pour son implication dans SOS Parc Orford, l’homme a été allègrement « tassé » de l’organigramme du Parti libéral du Québec alors qu’il en avait déjà été le président de 1985 à 1989. « Mais quand on se bat pour ses convictions, on dort très bien le soir. »

Les membres de la coalition n’ont jamais cessé de croire à une issue victorieuse. Robert Benoît juge que le gouvernement a commis une erreur stratégique dès le départ en envoyant à Orford le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), Claude Béchard : « Il n'a jamais compris la profondeur du lien qui unissait la population locale au Mont-Orford. Ce parc a été créé à une époque de crise à la fin des années 1930, grâce aux dons volontaires de simples citoyens et des municipalités environnantes. La venue de M. Béchard a provoqué la création de la coalition. »

Une des forces de SOS Parc Orford aura été son caractère « arc-en-ciel » : soit l’union des milieux syndical, environnemental, politique et patrimonial. Elle était de surcroît appuyée par 110 autres groupes et divers artistes. D’un point de vue stratégique, la coalition a compris très tôt l’intérêt de porter le débat au-delà de la scène locale et l’importance de l’Internet pour diffuser sa position. Les sites sosparcorford.org et orfordsaga.ca sont d’ailleurs toujours en ligne.

On retiendra plusieurs faits d'armes dans la démarche de SOS Parc Orford : la prise de position contre la privatisation du maire de Magog, Marc Poulin, qui entraînera avec lui d’autres élus. Le célèbre « ils ne nous auront pas, Papa! » de Clémence Desrochers, référant à la montagne portant le nom de son père et ciblée pour un futur développement résidentiel. (Ultérieurement, Béchard appellera lui-même l’artiste pour lui annoncer qu’il exclurait le Mont Alfred-Desrochers de la vente). Sans oublier le rassemblement de mars 2006 à Orford (qui a réuni 3 000 personnes), les deux soirées-bénéfices et la marche du 22 avril de la même année à Montréal : « 12 000 protestataires selon la police. 15 000 d’après nous », précise Claude Dallaire. « C’est à ce jour la plus grosse manifestation environnementale à ne s’être jamais tenue au Canada. » Il faut dire que, selon les sondages, 75 % de la population était contre la privatisation. En fin de compte, le gouvernement, isolé et minoritaire, annulera l’appel d’offres. Le promoteur ne fera pas de soumission. Il faudra tout de même attendre mai 2010 avant que la loi 23 ne soit abrogée par la loi 90. Au passage, le parc se sera enrichi de 3 600 hectares et 1 400 autres restent à venir. Les transactions ne sont toutefois pas terminées.

Si la question de l’intégrité du parc est aujourd’hui réglée, l’avenir de la station de ski et de son terrain de golf demeure toujours incertain. Avec la loi 90 (et après avoir dépensé plus de 50 M$ dans cette histoire), le gouvernement remettait en vente les actifs de la station de ski, au prix symbolique d'un dollar, mais en stipulant des conditions de financement strictes : une garantie de 4 M$ et un bail de cinq ans ainsi qu’un plan de gestion environnementale rigoureux.

Compte tenu de l'actuelle précarité de l'industrie du ski et du déficit accumulé à Orford, une seule offre a été déposée, celle de Fortune Resort qui est propriétaire de deux stations de ski en Outaouais (Mont-Sainte-Marie et Camp Fortune) ainsi que du Mount Norquay, en Alberta. Les principaux actionnaires de Fortune Resort, Robert et Peter Sudermann, possèdent déjà l’expertise de la gestion d’une station de ski dans un parc national (Camp Fortune). Ils espéraient revamper Orford en y développant le ski de soirée, en rénovant le chalet et les remonte-pentes. Mais au lendemain de l’échéance prescrite du 30 septembre, le comité de sélection désigné par le gouvernement rejetait la candidature de Fortune Resort en arguant un financement inadéquat. Cette compagnie pouvait pourtant bénéficier d’une contribution gouvernementale et du Fonds de relance quinquennal géré par le Centre local de développement (CLD) de Memphrémagog, auquel ont contribué le monde des affaires et du tourisme, les municipalités et des citoyens à hauteur actuelle de 400 000 $.

La balle est désormais dans le camp de la Municipalité régionale de comté (MRC ) de Memphrémagog, qui a jusqu’au 1er janvier 2011 pour conclure avec le MDDEP une entente pour l'acquisition et la gestion des actifs de la station de ski et du golf. Autrement, la loi prévoit le démantèlement des installations. Tout n’est donc pas encore joué à Orford.

Pour les anciens membres de la coalition, la survie de la station d’Orford passe par la rationalisation des frais de gestion, le développement du transport collectif, des attractions sur quatre saisons (écotourisme, vélo) et des liens entre culture et nature. En son nom propre, Robert Benoît plaide en faveur de la coopérative de solidarité du Mont-Orford et souligne que 50 % des centres de ski québécois appartiennent à des coopératives ou des municipalités. Et il existe aux États-Unis des exemples de coopératives efficaces, comme Mad River Glen. Mais Pierre Bastien évacue cette option et affirme que personne dans cette coopérative ne possède les aptitudes nécessaires pour gérer une station de ski.

Quoi qu’il en soit, il y aura encore du ski cet hiver à Orford : la firme Soroma assurera les opérations pour le compte de la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ). Mais ensuite? Est-ce que nous verrons la fin de ce roman échevelé ou le début d’un nouveau chapitre? Gageons qu'on s'en reparlera... l'an prochain.




Crédit: Jean-Pierre Huard, SépaqIn condo veritas
Au moment d’écrire ces lignes, le préfet de la Municipalité régionale de comté (MRC) de Memphrémagog, Gérard Marinovich, affirmait ne pas avoir de plan B pour la station de ski. Mais selon le Centre local de développement (CLD) de Memphrémagog, la survie de la station de ski d’Orford et de ses emplois passe par l’immobilier : « Dans les trente dernières années, 50 % des stations de ski d’Amérique du Nord ont fermé. Ce sont celles reliées à l’immobilier comme Vail Resort et Intrawest qui ont le mieux résisté », explique Pierre Bastien, le président intérimaire du CLD. Il croit qu’Orford pourrait tirer parti de liaisons avec d’éventuels développements résidentiels sur les terrains adjacents au parc, dans Orford, Eastman et Magog. À Sutton, l’achat de la station de ski par Dominic Voyer est aussi conditionnel à une modification des règlements d’urbanisme permettant l’érection d’immeubles de villégiature.

Mais l’idée ne plaît pas à tous : « L’immobilier a peut-être stimulé l’industrie à une certaine époque, mais ce n’est pas prouvé. D’ailleurs, en 1998 à Orford, Fernand Magnan a fait faillite avec son projet de condos au pied du Mont-Orford, et la famille Boulanger, propriétaire du Mont-Sutton, a failli perdre sa chemise dans un développement résidentiel », affirme Robert Benoît. L’équation ski+immobilier est encore moins soutenable à une époque de crise économique, de transition de l’industrie du ski et d’un réchauffement climatique affectant particulièrement les Cantons-de-l’Est. « Je suis convaincu qu’André L’Espérance [le promoteur de Mont-Orford inc.] nous remercie tous les soirs d’avoir contrecarré son projet », dit Robert Benoît. « Avec l’effondrement de l’immobilier, il y aurait perdu sa chemise », ajoute Hubert Simard, membre de la coalition et urbaniste de formation.

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