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Petit guide du voyage carboneutre

De plus en plus de Québécois compensent les émissions de carbone de leurs déplacements, terrestres ou aériens. Pourquoi le font-ils, et comment s’y prennent-ils? 

Quand la Montréalaise Julie Arnaud a acheté son billet d’avion pour Cuzco, l’an dernier, elle s’est assurée de cocher la case « Je compense mon voyage » dans le site d’Air Canada, et de s’acquitter des 32 $ équivalant aux 2,5 tonnes de gaz à effet de serre (GES) produits par sa part du transport aérien.  

En d’autres termes, Julie Arnaud a payé une organisation par le biais de la compagnie aérienne afin que celle-ci « réduise en son nom les émissions de GES en investissant dans des projets de compensation », selon la définition d’Équiterre. « Il y a encore un an, je n’y aurais même pas pensé, dit la randonneuse qui s’en allait sur le chemin de l’Inca. Mais aujourd’hui, on ne peut plus fermer les yeux : l’état de la planète nous oblige à agir! »  

Certes, on n’a jamais autant parlé de compensation carbone, surtout depuis les dernières conclusions alarmistes du GIEC, en octobre 2018. Le Pacte pour la transition, signé par près de 270 000 personnes depuis son lancement en automne dernier, a sensibilisé les Québécois à l’urgence de s’engager personnellement pour réduire collectivement les émissions de carbone, responsables pour une large part des changements climatiques.  


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« Selon l’ONU, c’est la priorité du siècle », résume Karine Oscarson, directrice générale de Planetair, une ONG dont le mandat est de sensibiliser le public à la consommation écologique, et qui soutient les organismes et les événements dans leur démarche carboneutre. Le transport – tous modes confondus, autant des biens que des personnes, compte pour 41,8 % des émissions de GES mondiales; autant dire que c’est là l’une des activités les plus polluantes. Le trafic aérien, notamment touristique, représente à lui seul de 2 à 5 % des émissions de GES. Cette proportion est appelée à augmenter considérablement, puisque le tourisme est l’industrie qui connaît la plus forte croissance à l’échelle mondiale.  

Réduire avant de payer  

Les entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes de GES par an sont tenues de rendre des comptes financiers auprès de la bourse du carbone. Mais acheter des crédits carbone relève, pour le consommateur isolé, de l’acte volontaire. Un acte qui se justifie d’autant plus pour l’amateur de plein air, sensible par nature à son empreinte écologique.  

« Mais attention, prévient Camille Gagné-Raynauld, chez Équiterre, la compensation carbone doit arriver en fin de parcours. Avant de payer pour avoir le droit de polluer, il faut s’interroger sur ses pratiques globales; on peut par exemple faire du covoiturage ou utiliser le transport collectif pour aller skier en Gaspésie. L’important est d’amener un changement durable et non de se limiter à compenser ».  


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Pour autant, payer son droit de polluer n’est-il qu’une bonne action personnelle, accomplie pour se donner bonne conscience? « Il faut nuancer, insiste Camille Gagné-Raynauld. Compenser sa consommation de carbone est une bonne chose, pourvu qu’elle s’associe à des changements de comportement. » 

Compenser, oui, mais comment? 

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Plusieurs organismes offrent au consommateur des outils de calcul de l’empreinte carbone et des modèles de compensation locaux ou internationaux, en Asie ou en Afrique notamment, comme le financement de projets d’éoliennes ou de transition du charbon de bois vers le propane comme source d’énergie, entre autres. 

Certains organismes mènent aussi des projets pour protéger la biodiversité. Toutes ces initiatives se traduisent en gains de GES. Mais soutenir le reboisement, où qu’il se fasse sur la planète, est l’un des moyens les plus sûrs de séquestrer le carbone émis à l’échelle planétaire. Précisons cependant qu’il s’agit alors de compensation dite « projetée », puisqu’en Amérique du Nord, les nouveaux arbres n’auront un impact environnemental que 50 ans après leur plantation. Au sud, il faudra 30 ans.  

« Reboiser apporte de nombreux bénéfices, explique Lucie Viciano, qui œuvre au développement des affaires chez NatureLab.world, un organisme québécois qui dirige des projets forestiers locaux et internationaux depuis 2011. Cela améliore les fonctions des écosystèmes en maintenant l’irrigation, le sol et les habitats fauniques et restaure le milieu de vie des populations. » 


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NatureLab.world œuvre en partenariat avec des propriétaires terriens en finançant de meilleures pratiques agricoles, comme la plantation de forêts de bambous au Mexique qui génèrent, en contrepartie, des crédits carbone.   

L’ONG québécoise EnRacine a, à ce jour, planté quelque 2,2 millions d’arbres en Amérique latine, et ses retombées socio-économiques se traduisent par la création de plus de 1 000 emplois chaque année. D’autres ONG travaillent plus localement, comme Arbre Évolution, en Chaudière-Appalaches, qui fait dans le reboisement social. « Depuis le Pacte pour la transition, nous notons une augmentation de 100 % des compensations privées », dit Simon Côté, d’Arbre Évolution. Voilà une preuve de plus que la sensibilisation et l’envie d’agir sont bel et bien établies au Québec. 

Démêler le vrai du faux 

La nécessité, dans ce marché encore récent, est de s’assurer que l’argent investi par le consommateur soit utilisé pour financer des projets solides et inscrits dans la durée. « C’est un peu le Far West dans ce milieu non réglementé, explique Karine Oscarson, chez Planetair. Certains organismes frauduleux mettent en vente des crédits carbone plusieurs fois, alors que des arbres ne sont plantés qu’une seule fois et ils ont donc un impact unique. Il faut s’assurer que votre crédit carbone ne sera comptabilisé qu’une fois. » 

C’est précisément à cela que servent les outils de traçabilité des crédits carbone comme Markit, ou les certifications locales ou internationales qui garantissent la séquestration à long terme du carbone et les impacts socio-économiques des projets de reforestation comme WWF, Plan Vivo ou Climate, Community and Biodiversity Standards. La certification Gold Standard demeure la plus stricte à cet égard, car l’impact environnemental de tous les projets qu’elle labélise est vérifié par des organismes indépendants mandatés par les Nations Unies. Avant d’acheter des crédits carbone pour un déplacement en avion ou en auto, il est donc judicieux de consulter des organismes indépendants et de vérifier la portée de leur certification.  


Vers une coalition des agences québécoises? 

En 2008, l’agence montréalaise Karavaniers a décidé d’imposer la compensation carbone sur le prix de tous ses voyages en tourisme d’aventure. Quelque 40 000 $ sont ainsi redistribués à l’organisme Planetair chaque année pour financer des projets de reboisement. « Notre matière première, c’est la nature, explique Richard Rémy, fondateur de Karavaniers. Nous n’en sommes plus à l’étape des petits pas; il faut agir ensemble avec de vraies actions significatives. » Depuis l’an dernier, l’agence ajoute à cette taxe carbone 1 % au prix de ses voyages et redonne le tout à l’organisme 1 % for the Planet. L’idée, c’est d’amener les membres d’Aventure Écotourisme Québec, les grands acteurs de l’écotourisme au Québec, à appliquer cette « taxe » de 1 % dans le cadre d’un projet pilote, Premiers soins pour la planète. Les montants recueillis au Québec seraient reversés à des ONG québécoises chargées de mener des projets de reboisement locaux. Certains acteurs répondent à l’appel, comme Vallée Bras-du-Nord, Mer et Monde ou encore l’agence Humania. Mais d’autres, qui pourtant jouent sur le terrain du plein air, tardent à s’engager sur cette avenue.  

Terre d’aventure, le plus gros joueur francophone du tourisme d'aventure dans le monde, affiche quant à elle des voyages carboneutres et donne sa part par l’intermédiaire de sa fondation Insolite Bâtisseur pour soutenir des projets socio-économiques, environnementaux, éducatifs et culturels d’envergure.  

Que faut-il comprendre des initiatives de ces spécialistes du tourisme d’aventure? Faut-il y voir une tentative de se dédouaner de l’effet exercé par le transport aérien sur la croissance des GES? « Non, il ne faut pas remettre le voyage en question, car c’est en admirant la nature qu’on se sensibilise à la nécessité de la protéger », résume Jad Haddad, directeur général de Terre d’Aventure Canada. « Si on veut que nos enfants puissent voir un jour ce que notre génération a eu la chance de voir, c’est maintenant qu’il faut agir », ajoute Richard Rémy.  


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Une tonne de GES (équivalant à un crédit carbone), c’est : 

- Un voyage transatlantique 

- 4 000 km en voiture type Honda Civic  

- 4 mois de chauffage


Quelques organismes pour bien compenser 

Arbre Évolution : cette coopérative de solidarité du Bas-Saint-Laurent est spécialisée dans la plantation d'arbres, la restauration d'écosystèmes, l'aménagement comestible et les technologies du carbone. Elle est à l’origine du Programme de Reboisement Social™, un outil inédit pour financer des initiatives de verdissement. arbre-evolution.org 

Bourse Scol’ERE : unique au monde, ce programme permet d’acheter des « crédits-carbone éducatifs » en privilégiant l’éducation et le passage à l’action des jeunes Québécois de 9 à 12 ans dans la lutte aux changements climatiques. boursescolere.com 

Carbone boréal : rattaché à l’UQAC, cet organisme plante des arbres en forêt boréale et intègre un programme de recherche sur le rôle de la forêt dans la lutte aux changements climatiques. carboneboreal.uqac.ca 

Compensation CO2 Québec : un organisme fondé par des propriétaires de forêts et de terres privées qui utilisent leur territoire pour séquestrer du carbone à long terme. compensationco2.ca 

Ecotierra : un développeur de projets forestiers et agroforestiers durables avec des ramifications au Pérou, en Colombie et en Côte d’Ivoire. ecotierra.co 

EnRacine : une ONG canadienne qui offre des commandites d'arbres et des crédits carbone issus de projets de reforestation sociale au Nicaragua. takingroot.org/fr/ 

NatureLab.world : cet organisme développe des solutions environnementales et des projets communautaires à l’aide des crédits de carbone volontaires, afin de restaurer des écosystèmes dégradés et favoriser le développement durable tant en milieu urbain que rural. naturelab.world 

Planetair : un vétéran de la compensation carbone au Québec, qui se targue d’offrir « les meilleurs crédits-carbone » qui soient. planetair.ca 

En 2009, l’Institut Pimbina et la Fondation David Suzuki ont aussi produit un document intitulé Purchasing Carbon Offsets : A Guide for Canadian Consumers, Businesses and Organization pour aider le consommateur à faire un choix parmi plusieurs organismes de compensation carbone fiables. Selon plusieurs experts, il est toujours d’actualité. pembina.org et fr.davidsuzuki.org/la-fondation 

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