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  • Crédit: J-F Bergeron, EnviroFoto

Neil Hartling : Le « rivièropathe »

Neil Hartling fait partie de cette race de passionnés qui foncent tête baissée vers l’inconnu, en se disant que la simple existence d’une rivière justifie sa descente.

Le nord-ouest du pays demeurait pour moi un territoire inconnu en matière de plein air jusqu’en 2009, lorsqu’un ami photographe me soumet le projet d’aller descendre la rivière Alsek en rafting. Je savais deux choses sur ce cours d’eau : deux guides professionnels s’y étaient noyés en 2008, et plusieurs experts la considèrent comme l’un des plus sauvages au monde. Pas question de passer à côté d'une telle opportunité, malgré quelques appréhensions à propos de la sécurité. Heureusement, un ami de confiance, professeur de plein air à l'université de Chicoutimi, me rassure : « Tu y vas avec Neil Hartling? Ton groupe est entre de très bonnes mains. Ce gars-là est une légende! »

La première fois que je suis passé près de Neil Hartling sans qu'on me le présente, je ne lui ai pas porté attention. Il avait l’air d’une sorte de chef scout moustachu et plutôt petit, avec des shorts beiges, une chemise assortie et un feutre sur la tête. C'est ça, la légende? Même lors de notre première rencontre de groupe, pas de discours d’éclat ou de personnalité flamboyante. J’apprendrai rapidement qu’il exerce un leadership tranquille et que son expertise parle haut et fort pour lui.

Hollywood story

En 1984, frais sorti de l’université, Neil Hartling ne trouve pas de boulot intéressant et décide, dès l'âge de 24 ans, de lancer sa propre entreprise. Même si la compagnie naissante n’offre que de petites sorties d’initiation en rivière, de la formation et des cours de premiers soins, Neil y engouffre tout son argent et ses efforts. Déjà, il se prend à rêver de parcourir des rivières mythiques, telle la Nahanni dans les Territoires du Nord-Ouest. Il sait qu'il devra tôt ou tard offrir des expéditions hors de l’ordinaire s’il veut faire sa marque.

« Comme mes sorties professionnelles n’étanchaient pas entièrement ma soif d'aventure, j’effectuais de nombreuses expéditions en solo », se remémore-t-il. Lors de l’une d’elles, alors qu’il se repose sur le bord de la rivière Beaver Dam, il entend des appels au secours et repère un couple et leur enfant, dérivant vers une chute dans leur embarcation en panne. Ne perdant pas un instant, il saute dans son canot, rejoint la famille en péril et leur lance un filin salvateur. Une fois que la famille est saine et sauve, l’homme remercie longuement Neil et l’assure que s’il peut faire quoi que ce soit pour lui, il n’a qu’à demander. « J’étais simplement heureux du dénouement. » Il porte alors fort peu d’attention à cette offre, sans se douter que son geste héroïque aiderait bientôt à tracer sa voie professionnelle.

L'ambition de découvrir la Nahanni s’ancre davantage dans l’esprit de Neil Hartling. Mais pour s’y rendre, il faut une autorisation d'accès de la part du conseil de bande des Déné, puisque la rivière traverse leur territoire. Les lettres de requête qu’il envoie aux responsables autochtones restent sans réponse. Avec peu de moyens financiers, il décide de se rendre néanmoins dans les Territoires du Nord-Ouest. Sur place, les fonctionnaires lui font comprendre avec sarcasme qu'une telle autorisation relève de l'utopie, tellement la tribu protège jalousement l’accès à la rivière.

En désespoir de cause, le jeune homme se souvient tout à coup du père de famille qu'il a tiré du danger. Ce dernier lui avait mentionné qu'il enseignait dans le village déné de Nahanni Butte. Mais comment le joindre? Le seul moyen de communication dont dispose le village à l’époque est un radiotéléphone, dont l'efficacité est conditionnelle au bon vouloir des utilisateurs. « Il faut d'abord que l'appareil soit allumé et que quelqu'un soit présent à l'autre bout pour y répondre. On doit ensuite aller chercher la personne demandée et que cette dernière soit disponible. Il faut croire qu’une bonne étoile veillait sur moi, car tout a fonctionné! » Neil expose alors son projet à Don qui, fidèle à sa parole, promet d’en parler au conseil de bande.

« Il était clair que la seule façon de procéder était de me rendre sur place et de rencontrer les membres du conseil en personne si je voulais espérer obtenir une réponse positive. » Sans garantie, mais confiant, Neil Hartling monte vers le nord et se présente au village. En compagnie de Don, il entreprend un porte-à-porte auprès des membres influents de la communauté. Son approche empreinte de respect conquiert les cœurs et il obtient son autorisation. De retour devant les fonctionnaires dubitatifs, ces derniers vont jusqu'à faire une vérification auprès des signataires pour légitimer l'affaire. Neil est en possession de la première permission officielle pour organiser des expéditions sur la sauvage Nahanni. Vingt ans plus tard, une rumeur jalouse venue aux oreilles du premier intéressé raconte que Neil Hartling aurait offert de l'alcool en échange de la lettre de recommandation. « Même si cela avait été mon style, je n’aurais pas eu les moyens d’acheter une caisse de whisky. J'avais même payé par crédit l'essence pour ma voiture! », blague-t-il.

La modération (et la protection) ont bien meilleur goût

D’une passion pour les rivières, Neil Hartling développera une conscientisation environnementale affirmée. « Plusieurs de mes amis travaillent dans l’industrie minière. Ils me prennent pour un extrémiste, mais savent aussi que je ne suis pas naïf. » Il concède de bonne foi que le plastique dont sont faites certaines de ses embarcations d'expédition provient de l'exploitation d'une ressource naturelle polluante, mais « il faut savoir utiliser nos ressources avec modération. Et puis, on dénombre présentement beaucoup plus de développeurs que de modérateurs comme moi », souligne-t-il.

À la fin des années 1980, alors que Neil parcourt la Tatshenshini, un autre joyau hydrographique de l'Extrême-Ouest canadien, il remarque qu'une section a été délimitée par du ruban orange. Une guide locale lui apprend qu’une compagnie minière ambitionne de construire une route puis d'exploiter un gisement de cuivre dans la région. « Je connaissais la liste des agents chimiques impliqués dans ce genre d’industrie et les dommages qu’ils causent à l’environnement. » Si Neil Hartling peut porter secours à des humains menacés par des rivières, il peut aussi défendre des rivières face aux dangers de l'activité humaine. En compagnie d'autres opposants, il choisit donc de monter aux barricades.

Comme le tracé de la Tatshensini traverse du côté des États-Unis (du Yukon vers l'Alaska en passant par la C.-B.), l’ancien candidat à la présidence Al Gore se joint à la démarche. Le premier ministre canadien de l’époque, Jean Chrétien, a déjà été responsable des Affaires indiennes et du Nord et leur tend une oreille sympathique. Plusieurs années d’efforts soutenus mèneront à la création, en 1993, du parc provincial Alsek-Tatshenshini. Modeste à ses débuts, il s'adjoindra aux parcs américains Glacier Bay et Wrangell-St.Elias, en plus du parc Kluane au Yukon, pour devenir le premier territoire binational inscrit sur la liste du Patrimoine mondial et l'une des plus grandes aires protégées au monde. Si certains déplacent des montagnes, Neil Hartling préfère laisser couler les rivières.

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nahanni.com

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