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  • Crédit: Strahil Dimitrov, Shutterstock

La rivière Kipawa : un joyau en eau vive

Au Témiscamingue, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Ontario, la rivière Kipawa prend naissance à Laniel, pour s’écouler sur 16 kilomètres vers le lac Témiscamingue, affluent de la rivière des Ouataouais. De magnifiques kilomètres d’une rivière vierge et intacte depuis 12 000 ans, de déambulations aquatiques en pleine nature, à dévaler les 14 rapides répertoriés, avec comme seuls spectateurs, impassibles, des pins blancs et rouges.

En Algonquin, kipawa veut dire « c’est fermé ». Fermée pour qui? D’abord aux moins courageux. Pour rejoindre Laniel, ville départ de la rivière, il faut compter huit heures de route, depuis Montréal, onze pour les habitants de la ville de Québec. Comme tout trésor, la Kipawa se mérite. Fermée aussi pour les pagayeurs débutants. Kipawa fait partie des whitewaters (eaux blanches) où l’intensité des rapides est telle que l’eau, brassée et remplie de bulles d’air, en devient toute blanche. Plus précisément, elle se situe entre la classe III et IV (sur une échelle qui va jusqu’à VI), selon le niveau de son lit, avec un débit qui varie entre 40 m³ par seconde à 350 m³/s. Une solide expérience est donc nécessaire pour se lancer dans sa descente. Fermée aux non-initiés? Pas tout à fait : la compagnie Esprit Whitewater propose aux néophytes du kayak de découvrir la Kipawa en rafting. Idéal pour se familiariser avec la descente de rapides et mieux appréhender cette rivière, considérée comme l’une des plus belles de l’Est canadien.

Fermée enfin, sur une partie du parcours. Après « Picnic », le douzième rapide – nommé ainsi en raison des nombreuses tables de pique-nique installées sur la rive rocheuse – se dresse un obstacle insurmontable, où aucun pagayeur n’a jamais navigué : la Grande Chute, une cascade de 27 mètres. Même le plus doué des kayakistes ne peut lutter contre la physique et la force naturelle et doit se résoudre à débarquer et porter son embarcation pour contourner l’obstacle. Le sentier de contournement est escarpé et rendu difficile par la végétation dense, qui freine la progression. Cela demande quelques efforts et une certaine dose de dextérité, spécialement pour se frayer un passage avec le raft.

Mais le pagayeur, qu’il soit kayakiste, canoteur ou rafteur, se remettra bien vite de cette « fermeture » temporaire, en bouclant son périple par l’ultime rapide, Hollywood, en référence aux cinéastes et acteurs (Lana Turner, Rita Hayworth, Kirk Douglas, John Wayne) qui se sont rendus sur le site. Certainement le rapide le plus prestigieux sur papier, mais surtout très exigeant et technique, avec ses eaux tourbillonnantes. Les derniers remous avant de retrouver les eaux plus calmes du lac Témiscamingue.

À l’embouchure de la rivière, quatre chalets en bois marquent la fin de la descente. C’est la propriété de Scott et Patti Sorensen, des Américains de l’Utah qui ont acheté le terrain en 1975. Dans ses Chroniques de la rivière Kipawa, Scott, ancien guide de rivière, y raconte comment, après être tombé amoureux du coin, il s’est installé, lui et sa « petite » famille (cinq filles) pour vivre une vie simple dans ce paradis naturel, avec pour seuls voisins, des arbres, et pour seul bruit, l’eau qui se fracasse sur les rochers de la Kipawa. Sans angélisme, mais avec réalisme, son livre évoque à la fois son histoire personnelle – faite de rires et de larmes, d’anecdotes comiques et parfois tragiques de l’expérience familiale sur les rives de la Kipawa et du lac Témiscamingue –, et des récits et évènements passés qui font le patrimoine historique de la rivière.

Les Amis de la rivière vs Hydro-Québec

La Kipawa offre bien plus que des sensations fortes : c’est surtout un lieu naturel, une sorte de parenthèse verte éloignée de la civilisation, sans routes, bâtiments ou villas. À l’exception des quelques kilomètres le long de route 101, la rivière se fraie un chemin à travers la forêt de pins, de peupliers d’érables et de cèdres, lieu de refuge de nombreuses espèces animales et végétales. Un paradis pour oiseaux : sur la partie supérieure de la rivière, moins accidentée, on y trouve des hérons, des harles, des huarts. Sur la partie inférieure, de nombreux rapaces, comme le faucon pèlerin ou le balbuzard pêcheur. Enfin, plus rarement, l’orignal, l’ours ou le cerf ont été également aperçus. Pour découvrir cette nature foisonnante, un sentier pédestre de sept kilomètres a été aménagé le long de la rivière, entre Laniel et Fabre, au départ de la route 101. Il offre plusieurs points de vue intéressants sur la Kipawa, grâce aux nombreux belvédères et tables de pique-nique, à proximité des rapides des marmites géantes, avec en point d’orgue, la Grande Chute.

Comme tout espace naturel, l’homme a tenté d’en tirer profit, d’abord comme terrain de jeu de plein air. Dans les années 70, des pagayeurs québécois sont les premiers à naviguer sur la rivière, imités quelques années plus tard par d’autres, venus d’Ontario. À l’initiative de quelques-uns, se formera en 1985 le Northen Ontario Liquid Aventure Club (NOAC), qui organisera le festival de la rivière Kipawa. Depuis, tous les ans, la dernière fin de semaine de juin, le festival rassemble un grand nombre d’adeptes de l’eau vive du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. L’occasion de faire la descente par petits groupes et de renforcer les liens amicaux dans la communauté du kayak et du canot. « Quelqu’un qui aime le kayak en eau vive ne peut pas être déçu par cette rivière », dit Alex De Matane, un converti de longue date. « Beaucoup d’habitués reviennent chaque année pour la descendre. Moi, ça doit être la quatrième ou cinquième fois que je reviens ici. » Mais, même les nouveaux venus sont aussi emballés par la Kipawa. « C’est une rivière magnifique », avoue Marie, qui inaugurait sa première descente de la rivière en rafting. « Le spectacle est encore plus beau quand on y est. Je ne m’attendais pas à autant de sensations fortes sur les rapides. J’y reviendrais! »

Revers de la médaille, la rivière attire aussi les convoitises des industries, intéressées par ses richesses naturelles et surtout ses possibilités hydrologiques. En 1998, la menace vient du projet Tabaret. Hydro-Québec annonçait vouloir implanter une minicentrale hydroélectrique sur la rive québécoise du lac Témiscamingue et détourner entièrement le lit ancestral de la rivière Kipawa pour alimenter les turbines grâce à la construction d’un barrage. En réaction à cette annonce qui ferait disparaitre le cours d’eau, les pagayeurs et autres amoureux du cours d’eau se structurent au sein d’une association : les Amis de la Rivière Kipawa. L’association conteste non seulement la destruction de l’ensemble de l’écosystème, des paysages naturels et de leurs valeurs touristiques et récréatives, mais soutient que le projet n’aura aucun effet bénéfique pour l’économie locale et l’emploi, la centrale devant être gérée électroniquement de l’extérieur. Après 14 années de batailles politico-judiciaires, Hydro-Québec renonce au projet Tabaret. Les Amis de la Kipawa ont gagné leur combat.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, la rivière fait partie du futur parc national d’Opémican, initié en 2002 par le gouvernant du Québec et les acteurs régionaux du Témiscamingue, afin de « protéger et mettre en valeur un territoire constitué d'écosystèmes exceptionnels, de paysages grandioses, ainsi que d’un site patrimonial témoignant de l’histoire du flottage du bois sur le grand bassin hydrographique de la rivière des Outaouais. » Un chantier d’envergure de 250 km2, incluant de nombreuses activités de plein air : randonnées pédestres, à vélo, en raquettes et à skis, du canot-camping, de l’escalade, une via ferrata. Le 21 mars dernier, la première ministre Pauline Marois annonçait officiellement la création de ce parc, avec un investissement de 26 millions de dollars. Un parc national, géré par la Sépaq, qui devrait ouvrir en 2017, assurant ainsi un avenir radieux et pérenne à la rivière Kipawa, pour exister encore 12 000 ans de plus!

Encore plus
À lire : Chroniques de la Rivière Kipawa : Aventures en forêt boréale, par Scott Sorensen, traduit de l’anglais par Pierre Gauthier et Martin Larche.

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Ce reportage a pu être réalisé à l’invitation des
Amis de la Rivière Kipawa et à Esprit Whitewater.

 
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