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  • Crédit: Syda Productions, Shutterstock

Technologie : l’électronique tuera-t-elle le plein air?

Aout 2013, Salt Lake City. Au Outdoor Retailer, le plus gros salon de l’industrie sportive en Amérique, les compagnies viennent deux fois par année présenter leurs nouveaux produits. Au kiosque de Big Agnes, un accessoire pour le camping retient l’attention : l'Entertainment Center loft, un boitier imperméable qui se fixe avec des sangles dans la tente pour y loger une tablette numérique et regarder des films. On peut débattre de l’utilité ou non de cet objet, mais il possède le mérite de remettre en question notre rapport avec la technologie et de son impact sur nos activités de plein air. Sommes-nous trop dépendants, voire carrément techno-addicts?

« Le plein air a longtemps tardé à rentrer dans l’ère technologique, lance Éric Hamel, responsable de la formation à La Cordée. L’essence du plein air était justement de s’en détacher. Aujourd’hui, c’est une extension naturelle de notre vie quotidienne. Elle n’est pourtant pas automatique à la pratique. Quand on pratique un sport ou un loisir, on commence par découvrir l’activité par l’équipement de base : les vêtements et le matériel. Mais rapidement, à mesure que l’on y prend gout, le besoin technologique se fait sentir, comme de posséder une montre GPS pour les coureurs ». Cet objet aux fonctions avancées (calcul de la durée de l’entrainement, position géographique, podomètre, gestion et programme d’entrainement, etc.) s’est démocratisé au milieu des années 2000. Et il n’est plus réservé à l’élite : il est désormais accessible aux coureurs amateurs.

Dans l’une de ses chroniques rassemblées dans l’ouvrage , le chroniqueur au quotidien Yves Boisvert décrit la montre GPS comme étant « le gadget ultime du coureur contemporain. (...) Mais quel outil merveilleux! Où qu’on soit sur Terre, un satellite discute avec votre montre pendant que vous courez. (...) Je ne pars jamais sans ma montre sans quoi je suis aussi perdu que si je ne connaissais pas le nom des rues. Il faut que je sache où je suis, je veux dire où j’en suis, à quelle vitesse je vais quand je me sens bien, ou mal, ou quand je sens que mon cœur bat trop vite ». Et il conclut avec lucidité : « Un jour, peut-être, je retrouverai la liberté ou la sagesse de courir sans mesurer mes pas ».

La mesure de la performance, c’est l’un des aspects importants de la technologie. Connaitre précisément par quel chemin je suis passé, en combien de temps, le dénivelé, les calories dépensées, etc. « Les gadgets technologiques sont là pour évaluer ta condition physique globale, explique François-Xavier Bleau, guide et directeur des opérations de Terra Ultima, une compagnie québécoise de voyages d’aventure. Cela peut être utile, mais on a tendance à trop se concentrer sur les données brutes de la machine et à oublier nos sensations, ce que notre corps ressent ». Un sentiment partagé par Richard Rémy, guide et président de la compagnie de voyage Les Karavaniers : « Il faut faire attention aux objets qui “nous veulent du bien”. Ils ont parfois des effets pervers. L’utilisation d’un saturomètre [qui effectue la mesure de la concentration d’oxygène dans le sang] lors d’une excursion en haute montagne peut rassurer les gens, mais aussi les faire paniquer. Faute de bien savoir l’utiliser et déchiffrer les données brutes, un simple mal de tête peut s’aggraver rien qu’avec l’effet du stress ».

Tous les objets que nous apportons durant nos sorties plein air seraient ainsi une réponse, consciente ou non, aux craintes que l’on pourrait avoir dans un univers moins contrôlé qu’est la nature. C’est ce que pense François-Xavier Bleau : « Au cours des voyages que nous guidons, certaines personnes peuvent être un peu effrayées par la montagne ou l’altitude parce qu’elles la connaissent mal. Leurs machines les rassurent. Notre rôle est de démystifier tout ça, mais ça passe par l’expérience et ce que l’on ressent sur le terrain ».

La technologie, ami ou ennemi?

Ce n’est pas tout d’être équipé, encore faut-il savoir utiliser la technologie correctement et dans toutes les conditions. « Mon téléphone intelligent me sert comme outil de travail, explique Dominic Asselin, grimpeur, guide et fondateur d’Attitude Montagne, un centre d'activités et de formation en escalade et alpinisme. Je l’utilise comme GPS, comme appareil photo, pour prendre des notes sur le terrain et même analyser la neige. Mais j’ai dû apprendre à l’utiliser de façon adéquate et raisonnée. Par exemple, je lui ajoute un , une compresse chauffante pour chauffer la batterie et ainsi éviter qu’elle se décharge trop vite par temps froid. C’est un réflexe que n’a pas tout le monde. Et il faut toujours avoir un plan B si l’appareil ne fonctionne pas ».

Les batteries et l’autonomie des appareils mobiles, c’est le nerf de la guerre de toutes les marques, et du coup de tous ceux qui les utilisent. Alors on s’équipe en panneau solaire et en batteries de rechange pour pallier le manque. Un vrai cycle infernal quand la technologie appelle la technologie : « J’ai parfois l’impression que l’on est un peu esclave de la technologie, confie Sylvie Marois, professeure en tourisme d’aventure au Cégep Saint-Laurent. On oublie que tout objet a une durée de vie limitée ». 

Comme le remarque Éric Hamel : « Le développement de ces outils d’analyse de la performance s’est aussi fait en marge de la création d'une plateforme pour enregistrer et regrouper toutes les informations. Ainsi, on a vu naitre de véritables communautés numériques ». Éric Hamel touche du doigt le deuxième aspect des outils technologiques : ils participent à rendre le monde hyperconnecté dans une ère de la communication instantanée. « Même à l’autre bout du monde, on est toujours disponible. On peut se connecter à Facebook au sommet du Kilimandjaro! C’est intéressant pour démocratiser l’aventure, mais cela gâche le plaisir de vivre à fond ces moments. Cette notion d'instantanéité crée un effet pervers : les gens veulent savoir tout, et tout de suite. Aujourd’hui, être sans nouvelles pendant plusieurs jours inquiète, même quand on sait que l’on va dans des régions reculées ».

Richard Rémy va plus loin : « Pour moi, la technologie ne rend pas un voyage mémorable et plaisant, mais elle peut faire en sorte qu’il ne le soit pas. Je me souviens de ce gars avec qui je montais le Kilimandjaro. Son père est décédé pendant l’ascension. Il a appris la triste nouvelle au sommet... par courriel! C’est un exemple extrême qui illustre à quel point la technologie peut gâcher le plaisir du plein air ». 

Les technologies de la communication peuvent être source de parasitage des comportements, comme le fait remarquer Dominic Asselin : « Certaines personnes font des activités de plein air moins pour le plaisir ou le dépassement de soi que pour s’afficher sur les réseaux sociaux et mettre à jour leur profil grâce à l’accessibilité des réseaux cellulaires ». Cela se fait-il au détriment de l’attention que l’on porte sur ce qui nous entoure? C’est ce que croit Sylvie Marois : « On fait face à plus de stimuli extérieurs. Avec la GoPro, tu te concentres sur les images tournées. Avec le GPS, si tu suis bêtement les indications, tu es forcément moins connecté avec ce qui t’entoure. Il faut se poser la question : pourquoi aller jouer dehors si c’est pour y amener toute la technologie de la maison? A-t-on vraiment besoin d’une tablette pour regarder un film dans la tente? »

Si la technologie peut gâcher le plaisir de certains, elle peut en arranger d’autres. C’est aussi un élément décisif pour la sécurité. Laurent Janssen, technicien en avalanche au centre d’avalanche Haute-Gaspésie, explique ainsi que la technologie a un impact primordial, voire vital sur son travail. « Elle nous permet d’avoir une météo en temps réel. Avec une webcam et des stations météo positionnées sur les sommets, on peut connaitre très rapidement les conditions d’enneigement. C’est un réseau utile pour faire des prévisions d’avalanches et plus on a d’informations, meilleures elles sont. »

« Normalement, l’objet le plus évolué que nous devrions avoir en voyage, c’est la lampe frontale, dit Alexandre Byette, guide expérimenté et membre de l’expédition XP Antarctick. Mais les objets technologiques apportent beaucoup pour la sécurité. En Antarctique, on aura avec nous GPS, walkietalkies, téléphone satellite, etc. Ils font partie du sac à dos de n’importe quel aventurier. C’est même irresponsable de partir sans. En cas de problème, des millions de dollars seront dépensés en recherche et sauvetage, alors que quelques centaines de dollars permettent d’assurer sa sécurité correctement. Le choix est vite fait! » Mais il se veut toutefois lucide sur les fausses impressions de sécurité qui peuvent en découler : « Il faut faire attention à ne pas se laisser prendre au jeu, à prendre plus de risques. C’est à double tranchant ». 

Selon Richard Rémy, pour les voyages d’aventure, exception faite des expéditions de professionnels, l’instrument vital, c’est le téléphone satellite. Tout le reste est accessoire et empêche le voyageur de décrocher. « Je ne dis pas que la technologie n'est pas utile, mais on s’y attache beaucoup trop. Aujourd’hui, nos clients ont de plus en plus de misère à s’en défaire. Cela demande une certaine discipline ». Ok, mais comment y arriver? Pour Dominic Asselin, cela peut se faire grâce à un peu de pédagogie : « J’essaye de les responsabiliser en leur faisant prendre conscience que la plupart de leurs gadgets ne sont pas très utiles en voyage, ils alourdissent plutôt leur sac. Ainsi, pour leur prochaine excursion, ils ne les prendront plus ».

Certains acteurs touristiques vont plus loin que la simple pédagogie et ont pris le taureau par les cornes en offrant des cures de désintoxication numérique. Des hôtels de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, un État des Petites Antilles dans les Caraïbes, interdisent l’utilisation des appareils numériques des clients pendant leur séjour. Plus près, au Québec, le Spa Eastman propose, depuis l’été 2013, une « Option Déconnexion » qui permet à ses clients de se séparer volontairement de leur cellulaire et autre appareil électronique, le temps de leur séjour. On leur remet également un guide pour leur expliquer ce qu’est la dépendance numérique, quels en sont les signes et comment mieux équilibrer leur utilisation. En guise de récompense, ils gagnent un soin gratuit. « Le but est de créer une coupure avec le quotidien pour maximiser l’expérience de détente », indique Jocelyna Dubuc, présidente-directrice générale et fondatrice de ce spa. « C’est très apprécié par nos clients. Certains se rendent compte qu’ils sont . » Le Spa Eastman propose sur son site Web des tests pour mesurer votre niveau de dépendance. Seriez-vous prêt à vous passer de votre cellulaire, ne serait-ce que pour une aventure d’un jour?

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Destination : où aller pour décrocher du cellulaire?

Vous voulez pratiquer une activité plein air sans être dérangé par votre cellulaire ou des notifications de courriel? Voici quelques endroits au Québec où il est facile de déconnecter faute de réseaux. 

Abitibi-Témiscamingue

Le terrain de jeu est immense pour ceux ou celles qui voudraient couper, notamment :
- La réserve faunique La Vérendrye, dans la Vallée-de-l’Or.
- Le parc national d’Aiguebelle, à Rouyn-Noranda.
- Récré-eau des Quinze avec une voie cyclable de 27 km et six sentiers pédestres balisés pour un total de 25 km. recre-eaudesquinze.qc.ca/
- La Cyclo-Voie du Partage des eaux Rouyn-Noranda et Abitibi-Ouest, un tronçon cyclable de 56 kilomètres de la Route verte. cldrn.ca
- Le Parc linéaire du Témiscamingue et la ligne du Mocassin, un sentier balisé en poussière de pierre de 45 km aménagé pour les cyclistes. tourismetemiscamingue.ca
- La Forêt d’enseignement et de recherche du lac Duparquet en Abitibi-Ouest. ferld.uqat.ca
- Les parcs ruraux d’Abitibi-Ouest, autour du village de Rapide-Danseur.

Bas Saint-Laurent

- Dans le secteur du Témiscouata avec le parc national du Lac-Témiscouata, nouveau parc de la Sépaq qui fêtera en juin 2014 un an d’existence, n’a qu’une couverture cellulaire à ses installations près du lac (centre de service), tout le reste (yourtes, camping, accueil) n'est pas couvert.
- La réserve faunique de Rimouski n’a aucune connexion : comme toutes les réserves fauniques de la Sépaq, vous pourrez y chasser et pêcher.

Cantons-de-l’Est

Aucun service disponible sur l’ensemble du parc national du Mont-Mégantic.
- Au parc national de Frontenac, pas de service dans le secteur sud, comme pour le massif de Winslow, une boucle de 16 km – qui dure entre 3 h 30 et 4 h 30, à travers les bouleaux jaunes et autres peuplements forestiers – qui permet de contempler le grand lac Saint-François.

Chaudière-Appalaches 

Au parc régional des Appalaches, « certains ont des difficultés avec leur cellulaire, explique Stéphanie Charland, la directrice des opérations. “Cela fonctionne de manière parcellaire, selon les secteurs. Ça peut être le cas sur un kilomètre et pas le suivant ».
parcappalaches.com

Côte-Nord Duplessis

Rien de plus facile que de déconnecter, puisque, à part les zones habitées, le réseau cellulaire n’est pas opérant. Vous pouvez donc laisser libre cours à vos toutes envies de sortie plein air.

Côte-Nord Manicouagan

- les monts Groulx, une destination de choix pour les amoureux de la nature sauvage.
- La Pourvoirie du Lac Dionne (pourvoiriedulacdionne.com) et celle du Domaine de la Manic (domainedelamanic.ca).
- Le Refuge du Prospecteur propose notamment des croisières photographiques sur des sites géologiques où vous pourrez voir des impactites, ces roches terrestres qui témoignent de l’impact d’un astéroïde avec la terre, il y a 214 millions d’années. refugeduprospecteur.com

Gaspésie

Deux incontournables dans la région : le parc national de la Gaspésie et ses 802 km2 de nature préservée au cœur de la péninsule gaspésienne; l’Auberge de montagne des Chic-Chocs, située à 615 mètres d’altitude dans la réserve faunique de Matane.

Îles-de-la-Madeleine

Une autre région du Québec où l’on ne manque pas de choix quand il s’agit de se déconnecter des turpitudes du monde moderne :

- La réserve nationale de la Pointe de l’Est, constituée de dunes, de landes et de lagunes, est située dans la partie sud du golfe du Saint-Laurent, à l’extrémité nord-est de l’archipel. ec.gc.ca
- Le Parc des Buck et ses sentiers pédestres boisés. tourismeilesdelamadeleine.com
- La Butte du Vent.
- L’île Brion, une réserve écologique à 16 km des côtes de Grosse-Île (accessible seulement l’été). mddep.gouv.qc.ca
- Le sentier Ivan Quinn, à l’Île d’Entrée, mène au sommet du plus haut point des Îles-de-la-Madeleine : Big Hill avec ses 174 mètres.

Outaouais

Très bien couverte, la région compte peu de zones pour couper avec la technologie. Exception faite avec Kenauk Nature, anciennement le Fairmont Kenauk, une réserve naturelle à Notre-Dame-de-Bonsecours, au nord de Montebello. Plusieurs activités possibles : randonnées pédestres, pêche à la mouche, canot et kayak, rabaska, observation guidée de la faune (ours noirs et blonds et de la flore, les plages sablonneuses au lac Poisson Blanc).

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Au parc national des Monts-Valins, il reste des secteurs non couverts. Mais vous ne serez pas seul, entouré par les fantômes blancs en hiver.
Au parc national du Fjord-du-Saguenay, on se branche sur l’essentiel, isolé en tente huttopia ou en arrivant à la statue du cap Trinité. Alléluia!
Dans la municipalité de Lac-Bouchette, la spiritualité prend le dessus à l’Ermitage Saint-Antoine. En randonnée sur les 215 km du sentier Kapatakan, reliant Lac-Bouchette à L’Anse-Saint-Jean, on se connecte sur soi-même. 

Vous pouvez aussi adopter une attitude plus radicale et encore plus efficace pour ne pas être dérangé : éteignez tout simplement votre cellulaire. Vous économisez du temps et vous gagnerez en plaisir!

 

 
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