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Ascension du mont Logan : En haut, en long et en large

Au printemps 2009, six alpinistes québécois se sont lancés à l'assaut du plus haut sommet du Canada. Récit d'un défi tout en crevasses et en blizzards jusqu'à 5959 mètres d'altitude.

Nous sommes six jeunes hommes dans la vingtaine à nous rejoindre au terminus d’autobus de Montréal. Un mélange d'anxiété, d'impatience et de liesse flotte dans l'atmosphère. Le contrôleur est décontenancé par la quantité de bagages que nous devons charger : vingt-huit sacs remplis à ras bords. Destination : Whitehorse, au Yukon. Quatre jours et quatre nuits sur les banquettes, de quoi prendre conscience de la grandeur du pays.

L'arrivée à Whitehorse est à l'image de ce qui nous attend sur la montagne. À trois heures du matin, nous nous cognons le nez sur les portes closes de l’hôtel où nous devions dormir. Les bagages sont entassés dans le stationnement et nous nous couchons autour, comme si c'était notre « précamp de base ». Le lendemain matin s'amorce une longue journée de préparatifs. Il faut surtout ne rien oublier : les derniers arrangements avec la compagnie de transport locale, la préparation finale des repas pour un mois complet, le tri du matériel, sans oublier l'achat des 48 litres de naphte qui alimenteront nos brûleurs.

Deux jours plus tard, la vraie aventure commence. À bord d'un minibus, nous parcourons les 250 km qui nous séparent de l’aéroport de Kluane Lake. En arrivant, le pilote nous informe que la météo est parfaite et qu'il peut immédiatement embarquer deux d'entre nous. Sébastien Lafontaine et Alexandre Lemay, respectivement chef d'expédition et responsable de la préparation physique, s’envolent moins d'une heure plus tard et se font déposer 150 km plus loin, au cœur du glacier et de l’immensité des montagnes de la chaîne St-Elias. Ils sont bientôt rejoints par Maxim Théberge et David Vachon, avant que François Desrochers et Jonathan Morin-Émond finissent par les rejoindre en début de soirée.

Notre équipe (baptisée MounTo) est la première de l’année à arriver sur les lieux. Nous avons la tâche de déterminer l'emplacement du camp de base et de commencer sa construction, à 2750 mètres d'altitude. Fait peu connu, le mont Logan est la montagne ayant la plus grande superficie au monde. Les distances à parcourir y sont donc colossales. Nous avons choisi de grimper la voie King’s Trench; nous devons donc traverser plus de la moitié de la montagne pour nous rendre au sommet. Du camp de base, c'est plus de 33 km en ligne directe.

Pour éviter les problèmes de haute altitude, la planification de l'itinéraire revêt une importance cruciale et nous ne prévoyons pas monter plus de 500 mètres verticaux par jour. Quoique peu technique, l’ascension du King’s Trench demande d’être un bon skieur, de maîtriser parfaitement les techniques de sauvetage en crevasse, en plus de toutes les notions relatives au camping d’hiver en milieu alpin. La stratégie de l’expédition consiste à aller d'abord creuser des caches à chaque campement avancé (cinq en tout) et d'y déposer une partie du matériel. Le poids que chacun doit transporter lorsque le camp est officiellement déplacé à un niveau supérieur (50 kg de nourriture, carburant et matériel, en moyenne) est alors diminué.

Au risque de décevoir les amateurs de suspense, c'est entre le Camp I (3225 m) et le Camp II (4130 m) qu'aura lieu le seul incident de l'expédition. Pendant un blizzard qui se déclara après avoir établi une cache plus haut, un des membres défonça un pont de neige. Ses compagnons de cordée, David et François, parviennent heureusement à arrêter sa chute. Après une longue demi-heure de manœuvres, Jonathan émerge finalement indemne de la crevasse avec seulement une gourde en moins.

En cours d'ascension, nous croisons deux autres équipes. C’est avec trois Albertains que nous tenterons de résoudre l'énigme de la section crevassée et remplie de séracs qui se trouve sous la face escarpée du Queen’s Peak. Après deux jours sans avoir trouvé de passage sécuritaire au travers de ce champ de mines, les amis Canadiens lancent la serviette et rebroussent chemin, nous sommes à nouveau seuls. Les efforts acharnés de François et David finissent par porter fruit et permettent à l’équipe de passer malgré des séracs de cinq mètres et un mince pont de neige que nous parcourons sans les sacs… et à plat ventre!

Crédit: Mounto
 

Crédit: Mounto
Après trois jours de tempête qui nous contraignent à rester sagement au Camp II, le Camp III (surnommé « The Castle ») est établi à 4550 mètres, après d’autres détours et passages précaires dans le dédale du chaos glaciaire. De toute évidence, le mont Logan ne se laisse pas dompter facilement et seuls les plus patients et endurants (où les plus entêtés) en viennent à bout.

Le Camp IV (550 mètres plus haut) est sans contredit l'un des sites les plus exposés au vent. Il faut y construire un mur en blocs de neige pour s’en protéger : une tâche éreintante qu’il faut compléter avant de pouvoir monter les tentes. Ce n'est qu'après de longues heures d’efforts que nous pouvons enfin reposer nos corps épuisés par le travail et l'altitude. Une journée de repos s'impose pour recharger nos batteries, mais aussi pour discuter de la stratégie à suivre pour la dernière section de la montagne.

  La montée vers le Camp V se fera avec trois cordées de deux alpinistes, contrairement à nos habituelles deux cordées de trois. Le départ se fait sans problèmes pour tous les membres sauf Maxim qui a des difficultés respiratoires depuis son arrivée au Camp IV. François et Alexandre prendront les devants, avec Sébastien et Maxim en deuxième, suivis de David et Jonathan. Après quelques centaines de mètres, la cordée arrière rattrape celle de Sébastien et Maxim, qui cède le passage en rassurant leurs compagnons sur leur capacité à les rejoindre plus haut.

Arrivés au sommet du colAïna-Prospector, nous sommes forcés de nous rendre à l'évidence : malgré la visibilité réduite par les nuages, on peut apercevoir que la cordée de queue est au point mort. Puis, elle décide de se remettre en marche, mais vers le bas. Les difficultés respiratoires auront eu raison de l'entraînement, des ressources et de la volonté de Maxime.
Nous réalisons que ce ne sera pas tous les membres de l'équipe qui auront la possibilité d’atteindre le sommet.

Au cœur d'un immense plateau sommital sous le Russel Peak, à 5350 m, les quatre grimpeurs arrivés au Camp V se rendent rapidement compte qu’ils n’ont plus qu’une tente pour trois personnes. C'est François qui se sacrifiera pour passer la nuit seul dans son sac de bivouac. Le lendemain matin, nous sommes encore à huit kilomètres du sommet, mais la météo est relativement clémente et seules de bonnes bourrasques nous fouettent le corps. Plusieurs heures sont nécessaires pour arriver à la base de la pyramide sommitale. Après avoir parcouru une crête bordée de chaque côté d'un précipice de plus de 2000 mètres, David est le premier alpiniste de l'année à atteindre le sommet du mont Logan, suivi peu après par Jonathan, le plus jeune conquérant québécois, à l’âge de 21 ans. Le moment est de courte durée : les conditions météo et des rafales de vent nous poussent à repartir après cinq minutes passées sur le sommet. Peu de temps après, c'est au tour d'Alexandre et François d’atteindre la cime. C'est donc tous ensemble que nous retournons au Camp V pour une nuit de repos, avant les retrouvailles émouvantes du lendemain au Camp IV avec Maxim et Sébastien, où la célébration de la conquête du sommet est célébrée convenablement.

Avant de redescendre au camp de base, tous s'assurent de laisser les sites dans un état impeccable pour les prochains alpinistes. Le retour nous réserve par contre lui aussi des surprises : une des crevasses vers le Camp III a bougé depuis notre montée et est passée d'un mètre et demi à 50 m de largeur par 250 m de longueur. C’est comme si la montagne ne voulait plus nous laisser partir! Et il faudra une semaine d'attente au camp de base avant que la météo ne permette à notre avion de venir nous chercher.


Mont Logan

La plus haute montagne du Canada (5959 mètres)

> William E. Logan a découvert la montagne en 1890 au cours d’une ascension du mont St-Elias. En 1925, une expédition canado-américaine fait la première ascension du Weak Peak (5915 m) et du High Peak (5950 m).
 

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