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Parcs Canada : Restauration écologique extrême 

Ils mettent le feu aux forêts, abattent des loups, des cerfs et des orignaux. Ils exterminent des populations de poissons, détruisent des barrages et des routes. Mais ils ne sont ni vandales ni criminels : ils œuvrent pour Parcs Canada, qui a mis en place un vaste programme de restauration écologique extrême, d’un océan à l’autre.

Ces 15 dernières années, dans 10 lacs du parc national de la Mauricie, on a déversé de la roténone, un puissant poison qui asphyxie tout ce qui respire avec des branchies. Résultat : la totalité des poissons du lac a été exterminée. Malgré des apparences destructrices, cette opération avait plutôt pour objectif de restaurer les écosystèmes lacustres du parc, grandement affectés par des décennies d’exploitation forestière, de drave et de pêche. 


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« Lors de sa fondation en 1970, le parc national de la Mauricie a hérité d’un territoire avec des écosystèmes très dégradés, explique Marc-André Valiquette, coordonnateur du projet de conservation et de restauration des écosystèmes aquatiques du parc. L’exploitation forestière industrielle entamée en 1827 a perduré pendant 150 ans. »

Au cours de cette période, des barrages ont été construits sur des dizaines de lacs pour faciliter le flottage des billots de bois lors des grandes crues printanières, ce qui a notamment affecté le débit de l’eau et la dynamique de sédimentation. Vers la fin du 19e siècle, les clubs de pêche ont ensuite introduit dans plusieurs lacs, de façon intentionnelle ou pas, de nombreuses espèces de poissons exotiques, comme la perchaude et l’achigan. L’utilisation de poissons-appâts vivants — une pratique désormais interdite — a aussi permis au mulet à corne et au meunier noir de s’y établir. 

Ces multiples transformations ont grandement altéré les écosystèmes, si bien que le roi des lacs de la Mauricie, l’omble de fontaine, seule espèce de poisson peuplant plus de 80 lacs du parc pendant des millénaires, a failli disparaître. En tout et partout, la présence de ce poisson, aussi appelé truite mouchetée, a chuté de 50 % au cours du dernier siècle, et certaines populations ont même disparu.

En 2004, le parc de la Mauricie a décidé de freiner ce déclin en entreprenant un énorme chantier de restauration des écosystèmes aquatiques. Depuis lors, plus de 105 000 billes de bois ont été retirées des berges et du fond de l’eau dans 20 lacs, et une vingtaine de barrages ont été démantelés. Une fois le débit d’eau naturel rétabli, les ombles de fontaine résiduels (quand il en restait) ont été capturés à des fins de reproduction en pisciculture, pour préserver leurs caractéristiques génétiques uniques. Les lacs ont par la suite été empoisonnés à la roténone, qui se dégrade en moins de 20 jours. Puis, les 52 600 ombles de fontaine élevés en pisciculture ont été réintroduits dans 10 lacs. 

Ce travail colossal porte fruit, car les populations d’omble de fontaine sont en croissance. La pêche a même été rouverte en 2017 dans quatre des premiers lacs restaurés. « Maintenant qu’on a enlevé les barrages, les lacs sont désormais plus stables et deviennent plus résistants face aux changements climatiques », ajoute le biologiste.  

Mais ce n’est pas tout. « La dégradation écologique a permis de préserver des ressources culturelles impressionnantes », remarque Marc-André Valiquette. En abaissant le niveau de l’eau, des archéologues de Parcs Canada ont eu la belle surprise de découvrir trois sites d’occupation autochtone et des outils provenant de l’époque archaïque, utilisés il y a plus de 3500 ans!

Plus de 100 projets au pays

Ce projet du parc de la Mauricie n’est qu’un exemple du programme pancanadien de conservation et de restauration (CORE) de Parcs Canada, qui a investi 138 millions de dollars dans plus de 100 projets, depuis 2005.

L’utilisation des feux de forêt contrôlés fait partie des premiers outils mis en place par Parcs Canada, bien avant le lancement du programme CORE. Dès la fin des années 1980, des brûlages dirigés étaient réalisés dans les parcs de l’Ouest canadien. Car si protéger nos forêts contre les incendies sert la sécurité civile, cette pratique a un impact important sur les écosystèmes, estime Michel Thériault, un agent de gestion des incendies pour Parcs Canada.

Certaines espèces de végétaux, d’insectes, d’oiseaux et de mammifères ont ainsi développé des stratégies écologiques adaptées aux passages fréquents du feu. Le pin gris est un exemple frappant de ces espèces dites pyrophyles, car c’est le feu qui libère ses semences en faisant fondre la résine qui garde ses graines scellées dans ses cônes. Pour d’autres espèces, comme le pin blanc, le feu favorise l’émergence des jeunes pousses en éliminant la compétition. Les feux permettent donc de rajeunir la forêt et de favoriser une plus grande biodiversité, souligne Michel Thériault.

Parcs Canada a donc choisi de réintroduire le feu comme outil de perturbation naturel dans plus d’une dizaine de ses parcs, dont celui de la Mauricie, où plus de 2500 hectares de forêts ont été brûlés depuis 1995, notamment pour favoriser la présence du pin blanc.

© Parcs Canada

La technique de brûlage dirigé sert aussi à restaurer les prairies utilisées par les populations de bisons, dans les parcs nationaux des Prairies, de Prince-Albert et de Banff. Elle a également contribué au maintien de la savane dans le parc national de Pointe-Pelée, en Ontario, et favorisé la croissance du pin à écorce blanche et du pin flexible dans sept parcs nationaux de montagne de l’Ouest canadien.

Abattre pour préserver?

Même si cela déplaît aux groupes qui militent pour la protection des animaux, des espèces animales doivent parfois être éliminées pour préserver les écosystèmes. C’est notamment le cas dans les parcs nationaux de Terre-Neuve, où les orignaux ont été introduits à la fin du XIXe siècle. Sans prédateurs pour contrôler leur population, les cervidés se sont multipliés, dévorant toujours plus de pousses d’arbres feuillus et de sapin baumier. Selon Parcs Canada, environ 65 kilomètres carrés de forêts autrefois saines se sont métamorphosés en prés dans le parc national du Gros-Morne, et 75 % du territoire ne contient plus assez de jeunes arbres pour se régénérer lorsque meurent les arbres matures.

Un programme d’abattage d’orignaux a donc permis de réduire la densité des populations, favorisant la croissance des jeunes arbres. La viande issue de cette chasse a été offerte à des organismes sans but lucratif et communautaires. Un projet similaire a vu le jour dans la réserve de parc national et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas, en Colombie-Britannique. Le cerf à queue noire de Sitka, une espèce envahissante exogène, s’y est longtemps multiplié en l’absence de prédateurs, broutant tout sur son passage, faisant disparaître plusieurs plantes et arbres utilisés à des fins médicinales et comme matériau de construction. Les cerfs ont donc été chassés des cinq îles ciblées et leur viande a, ici aussi, été offerte à des organismes locaux.

Enfin, le parc national Jasper collabore pour sa part au programme de conservation du caribou des bois, qui vise à réduire les populations de loups à l’extérieur du parc, ce qui permet de réduire la prédation de cette espèce menacée.

Lutter contre l’érosion

D’importants projets d’adaptation aux changements climatiques sont aussi en cours au pays, plus particulièrement au parc national Forillon, en Gaspésie. Pour lutter contre les problèmes d’érosion, le parc a détruit plusieurs infrastructures, dont une route, un mur de protection de béton et un enrochement sur 1,5 km, dans le secteur du Cap-des-Rosiers. Grâce à ce projet de 4,7 millions de dollars, la plage naturelle, qui permet de dissiper l’énergie des vagues, a été rétablie. « D’ici quelques années, les capelans pourront recommencer à frayer sur cette plage de gravier fin, dont ils ont besoin pour pondre leurs œufs », se réjouit Daniel Sigouin, l’écologiste responsable du projet de rétablissement.

Toutes ces mesures de restauration démontrent l’étendue des impacts causés par l’homme sur son environnement. Même si elles peuvent paraître extrêmes, ce sont souvent les seules solutions disponibles pour restaurer les écosystèmes. Et ce n’est qu’un début, car le gouvernement du Canada a annoncé un investissement de 1,3 milliard de dollars pour protéger le patrimoine naturel en créant notamment de nouvelles aires protégées. De ces sommes, qui représentent le plus important investissement dans la conservation de la nature de toute l’histoire du pays, 22 millions de dollars supplémentaires seront consentis aux projets de conservation et de restauration. Prêts pour plus de conservation extrême?


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