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  • Crédit: Éric Marchand

Le plein air à la conquête des villages

À l’instar des États-Unis et du Canada anglais où les villes tournées vers les sports sont en vogue depuis les années soixante, le Québec découvre la formule. L’ingrédient essentiel au cœur la revitalisation touristique est souvent une entreprise d’aventure. Le développement économique du plein air est-il le nouvel eldorado des communautés?

« Ça ne marchera pas! » Avant d’ouvrir boutique, Josée Prévost a entendu cette phrase à maintes reprises. « On me disait que je n’arriverais pas à m’implanter dans une ville où l’on ne s’arrêtait que pour manger un hot dog et où les gens étaient réputés inactifs. » Loin de se laisser saper le moral, elle inaugure en avril 2012 sa Maison de la Course au Mont-Saint-Hilaire. Josée 49 ans, les cheveux poivre et sel, a l’énergie et la conviction qui font bouger des montagnes. Avant même l’ouverture, sa première victoire, c’est sur le plan architectural qu’elle l’a remportée. En rénovant un immeuble à la laideur reconnue, elle a donné une âme au bâtiment et en a fait une source de fierté pour la ville.

Le pessimisme des débuts, Frédéric Asselin l’a aussi vécu quand il a pris les rênes de Vallée Bras-du-Nord, une coopérative de plein air située près de Saint-Raymond de Portneuf. « Je suis arrivé en septembre 2002, engagé par le conseil d’administration, pour développer des sentiers de randonnée. », explique-t-il. Le trentenaire solide, à l’allure de coureur des bois et au regard bleu acier, a très vite compris que l’implantation d’une entreprise de plein air dans une région traditionnellement vouée à l’agriculture et à la foresterie n’était pas jouée d’avance. « On me prenait pour un fou. Ça a pris plus de 10 ans pour faire réaliser le potentiel de notre activité aux gens de la région ». Toute bonne histoire a pour cadre un décor à la hauteur de ses ambitions. La vallée glaciaire, mélange harmonieux entre forêt, falaises et rivières, est l’une des raisons du succès de la coopérative. « C’est son environnement qui en fait un terrain de jeu magnifique », continue Asselin qui s’étonne qu’il n’y ait pas un parc national à la place.

Pour réussir, une entreprise de plein air se doit de s’enraciner dans les localités mais surtout de mettre le territoire en valeur. C’est le pari tenté à deux reprises par Éric Marchand. Grand gaillard à l’allure de Beach-Boy californien, ce gars originaire de Laval, guidé par les vents, installe son école de kite et sa boutique en 1998 aux Iles-de-la-Madeleine. Il pensait avoir trouvé la terre promise mais, après avoir vécu « d’amour et d’eau fraîche », il décide en 2014 de planter l’oriflamme d’Aérosport à Oka, au pied d’une ancienne épicerie. « Cinq mille pieds carrés qui ont longtemps manqué d’amour », affirme l’ancien champion du monde de snowkite. « Pour tirer notre épingle du jeu, on a fait le choix de miser sur la géographie du lieu : le lac et la montagne. Cela nous permet de nous démarquer de nos compétiteurs. » Tourné vers l’eau, mais loin des foules du parc national, Oka vivait plutôt au rythme de la quiétude de sa célèbre abbaye. En offrant une expérience diversifiée, Aérosport profite de la popularité du parc pour attirer des clients vers le village qui dé-couvrent qu’Oka a aussi un lac. Le nouveau maire, Pascal Quevillon, a donc applaudi l’initiative. « Nous avons été convoqués à la mairie,  raconte Éric Marchand — qui voulait nous remercier et nous soutenir. Cela fait chaud au cœur. Un accueil et une écoute pareils, c’est le meilleur coup de main que l’on puisse espérer. Je me pince encore aujourd’hui! »


Des ambassadeurs de saines habitudes de vie

Se différencier dans un univers de concurrence est un leitmotiv pour les entrepreneurs. Cela passe par un changement de paradigme. Dépasser le simple cadre de la vente ou de l’échange de services, s’impliquer davantage dans la communauté… C’est ce que tente aussi Josée Prévost. « Le nom de La Maison de la Course n’est pas anecdotique. Au-delà du concept marketing, je voulais un lieu de rassemblement, idéalement situé entre parc et montagne, qui aide les coureurs et inversement. » Mais, la création d’une communauté, cela ne décrète pas. Chaque dimanche matin à 8 h 30 sonnantes, Josée fait courir les gens ensemble. Environ 200 personnes se rassemblent pour prendre part aux différents ateliers et cliniques proposés.

Quand on lui demande qui sont « ses » coureurs, Josée Prévost, lunettes rectangulaires sur le nez, se transforme en sociologue du sport : « On brasse toute sorte de monde. On arrive à faire tomber trois niveaux de différenciation : l’éducation, l’argent et l’âge. » Faire tomber les barrières sociales, au moins le temps d’une course, c’est ce dont elle est la plus fière. En ce moment, le groupe qui se prépare au marathon est ainsi constitué d’un « gars de la construction », d’un dentiste, d’un technicien de ventilation, d’un propriétaire d’entreprise, d’une secrétaire et d’une serveuse de restaurant. Le brassage se fait aussi entre les générations : la trentenaire qui a couru son marathon avec une dame de 69 ans, ou encore, la maman toujours accompagnée de sa fille.

La Maison de la Course organise également ateliers et conférences avec des professionnels; kinésiologues, physiopathes ou ostéopathes. L’ensemble de ces activités a eu un impact indéniable sur la population de Mont-Saint-Hilaire. Josée Prévost l’assure, « selon les médecins, le taux d’activité physique est en hausse. On voit une augmentation du nombre de coureurs. » Après avoir suivi les ateliers, les gens continuent à courir. Pour appuyer son propos, Josée cite l’histoire d’un de ses clients : « Il a perdu 100 livres et la course a totalement changé sa vie. Un an après avoir suivi son premier atelier, il court aujourd’hui le 5 km en 20 min! »

De son côté, pendant la saison estivale, avec ses « Dominicales, » Aérosport fait concurrence au curé! Sur les coups de 9 heures, une trentaine de fidèles se retrouvent ainsi à quelques mètres de l’église pour pagayer kayak ou planche à pagaie (SUP). « Ces sorties gratuites et ouvertes à tous favorisent les rencontres, confie Éric Marchand. On voit des Okois et Okoises de longue date renouer avec leur lac et enfin se l’approprier. »

Vallée Bras-du-Nord va encore plus loin dans son implication communautaire. Depuis 2003, grâce à un programme de réinsertion sociale, des jeunes avec des problèmes personnels sévères, dont le décrochage scolaire, la délinquance et la dépendance assurent le développement des sentiers. « À la fin de la journée, ils peuvent voir ce qu’ils ont réalisé et prennent alors conscience de leur potentiel, assure Frédéric Asselin. Ces jeunes sont l’ADN de la Vallée! » Depuis 2011, la Coopérative a également instauré un projet avec les écoliers du secondaire Louis-Jobin de Saint-Raymond. « En créant une culture du plein air chez les jeunes et en leur faisant découvrir leur territoire, on en fait des ambassadeurs des saines habitudes de vie ».

Savoir trouver son élan

Au fil des années, Vallée Bras-du-Nord est devenue une destination incontournable du vélo de montagne. L’entreprise amène une nouvelle clientèle à Saint-Raymond de Portneuf. Venus de l’extérieur, les amateurs de plein air s’y restaurent ou magasinent dans les commerces environnants. Cela permet l’implantation de nouveaux commerçants. Rien d’étonnant donc qu’un magasin de vélo, Frenette Bicyclettes, ait ouvert au début de l’été à deux pas des bureaux administratifs de la Coopérative. Tout comme le Roquemont qui abrite microbrasserie, pub, restaurant et hôtel. On connaît la propension des amateurs de plein air à s’en jeter une petite (avec modération) après avoir sué et mangé de la bouette dans un sentier!

« Au début, on a uniquement choisi Oka pour le kitesurf, mais on n’aurait pas pu en vivre toute l’année », reconnaît volontiers Éric Marchand. Parfois, une bonne étoile vous guide sur le bon sentier. « Avec l’arrivée du fatbike l’hiver et l’engouement pour le SUP l’été, le moment était parfait; on travaille dorénavant sur les 4 saisons! » En plus du réputé fromage, il y a une boulangerie et une chocolaterie. « Évidemment, on réfère nos clients aux commerçants », assure Marchand. Directement située au pied des nouveaux sentiers, l’abbaye, ancienne demeure des cisterciens va ressusciter en auberge de 28 chambres. Aérosport y offrira la location de ses vélos. Quand les acteurs trouvent leur élan, chacun travaille alors en partenariat et non en concurrence.

Crédit photo : Mont Saint-Hilaire, Nicole Pothier

En 3 ans d’activité, profitant du véritable phénomène de société qu’est la course, Josée Prévost a fédéré autour d’elle un nombre croissant d’adeptes. Grâce à ses cours 101, suivis par 3 000 personnes, elle est devenue la papesse du sport à Mont-Saint-Hilaire. Parmi ses fidèles, le maire, Yves Corriveau, qui n’a jamais vu autant de coureurs dans sa ville. « Je connais beaucoup de mes concitoyens; ils ne couraient pas et s’y sont mis grâce à elle. C’est mon cas. Aujourd’hui, je cours 5 km et j’ambitionne le 10 ! »

Le maire souhaiterait maintenant faire de Mont-Saint-Hilaire, la capitale de la course au Québec. Rien de moins! Le rêve est peut-être un peu exagéré, mais il aimerait au moins que la municipalité devienne une référence dans la Vallée-du-Richelieu.

Assis sur une mine d’or

C’est parfois la volonté des pouvoirs publics qui est à l’origine de la création d’une communauté active. C’est le cas de Saint-Adolphe-d’Howard où l’action conjointe de la MRC des Pays-d'en-Haut et de la municipalité a facilité l’installation d’Attitude Montagne. Ce centre d'activités et de formation en escalade et alpinisme, fondé en 2006, était auparavant situé à Sainte-Adèle. « Nous cherchions à déménager pour de meilleures installations », déclare Asselin, président fondateur. Jeune grimpeur filiforme, seul guide québécois à être certifié à la fois par les associations canadienne et américaine des guides de montagne (ACMG et AMGA), Asselin reste encore surpris de l’offre de la municipalité. « L’accueil à Saint-Adolphe a été exceptionnel. Sur les documents de la mairie, on pouvait lire : Attitude Montagne va relancer l’économie locale. Ils ont embarqué encore plus loin que je ne l’imaginais! »

Crédit:  Plein Air Saint-Adolphe Pour la petite municipalité ancrée sur les berges du lac Saint-Joseph, l’arrivée d’Attitude Montagne n’est que la première étape d’un plus vaste projet : mettre en œuvre une politique de développement économique axé sur le plein air non motorisé. « Cela doit devenir notre marque de commerce », indique Lisette Lapointe, mairesse de la ville. « On veut rassembler tous les acteurs du milieu. Dominic Asselin a une belle expérience d’entrepreneur, avec beaucoup de dynamisme et de leadership. C’est la personne idéale pour en attirer d’autres ».

Le grimpeur est donc devenu, à titre bénévole, président du conseil d’administration de Plein Air Saint-Adolphe, OBNL gérant les installations appartenant à la mairie. Et la ville n’en manque pas : une station de ski, un réseau de sentiers pour la randonnée, la raquette, le ski de fond et le vélo de montagne, un camping et une plage municipale. « Ces installations sont sous-développées, sous-exploitées et souffrent d’un déficit de promotion », avoue Dominic Asselin qui reste toutefois optimiste et croit dans leur potentiel. « Les infrastructures sont toutes au cœur du village. C’est un atout incroyable. On est assis sur une mine d’or, mais les gens ne le savent pas! »

Un comité municipal a été spécialement fondé pour proposer des pistes de réflexion et des idées de développement. Le but, comme l’explique Lisette Lapointe, c’est « d’attirer des gens qui partagent les mêmes intérêts : des entreprises connexes et complémentaires, qui amélioreraient l’offre des services dans la ville ». Asselin a déjà quelques idées dans la poche. Il voudrait notamment faire de Saint-Adolphe une destination reconnue pour le vélo de montagne, avec des sentiers dans le centre de ski. En hiver, il aimerait développer un secteur de ski hors de piste, avec un programme d’entraînement pour le volet compétition. « Nous sommes une petite station. Il faut se démarquer en ciblant un créneau précis! » À cela, il pense ajouter trois bars concept et la création d’un centre d’escalade intérieure.

Le président du CA de Plein Air Saint-Adolphe voit grand, et pose un regard vers les sommets à atteindre. Il ambitionne d’en faire « une destination de haute qualité, vers laquelle les gens se déplacent, comme c’est le cas avec Vallée Bras-du-Nord ». Il semblerait que le concept d’entreprises de plein air, intégrées dans une communauté forte et vivante, fasse son chemin au Québec. Et c’est une bonne nouvelle, surtout à une époque où le tourisme québécois a besoin de se réinventer et d’innover. La province fait face à un déficit touristique en hausse, évalué en 2012 à 3,5 milliards de dollars. Entre 2002 et 2012, le Canada et le Québec sont passés de la septième à la seizième place dans le palmarès des destinations touristiques internationales. Une situation problématique mais pas irrévocable : le pays figure toujours parmi les meilleures destinations au monde selon le Forum économique mondial (FEM). Et si le développement du plein air communautaire était l’une des solutions au problème?


Commentaires (2)
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ekoriders - 01/10/2015 17:31
Oka avec Aérosport & Saint-Adolphe-D'Howard avec Attitude Montagne, deux bijou méconnu qui mérite les détour...
pagaie101 - 29/09/2015 13:39
Au Québec, le nombre de villages assis sur un cours d'eau est impressionnant, mais la majorité ont dormi sur leur potentiel récréatif. Aujourd'hui leur plus grand problème ce sont les points de mise à l'eau, tous privés. Il y a près de 20 ans, j'avais offert un programme de Canoë-Kayak tout-inclu dans 5 municipalités de la région de Québec ayant accès à un plan d'eau. 4/5 m'ont rappelé 15 ans plus tard avec grand intérêt...