Rechercher dans le site espaces.ca
  • Les participants au Défi Kayak au départ de Montréal © PRuel

Défi kayak : symphonie fluviale en quatre mouvements

Chaque été depuis des années, le Défi kayak Desgagnés vise à amasser des fonds pour Jeunes musiciens du monde. Notre collaborateur a osé tenter l'expérience, et il nous en a rapporté ce compte-rendu, livré à bout de bras.


À l’arrivée, la veille du départ, malgré l’heure tardive, de nombreux fébriles s’activent au bassin Bickerdike du port de Montréal, entassant quelque 115 kayaks avec une planification méthodique. Non loin de là, les pagayeurs tentent de grappiller quelques heures de sommeil dans leur abri planté aux abords du canal Lachine.

À peine accueilli au Défi kayak Desgagnés, je perçois bien le surréalisme d’une expé à 150 personnes, mais pas encore les 300 kilomètres que mes épaules avaleront dans les quatre prochains jours, en direction de Québec.

Résolus à donner un coup de pagaie pour l’organisme de bienfaisance Jeunes musiciens du monde (JMDM), les participants ont amassé encore cette année plusieurs milliers de dollars. Au-delà de l’initiative caritative, l’incursion privilégiée dans la route maritime qui a façonné le pays est un important motivateur. Bien entendu, le dépassement de soi que propose l’événement est aussi un incontournable.

L’idée originale de Mathieu Fortier, cofondateur de l’organisme et chef d’orchestre de l’événement, a indéniablement séduit autant les commanditaires que les mordus de kayak de mer, voire les néophytes nautiques.

« J’ai vite balayé du revers de la main l’idée du tournoi de golf pour amasser des fonds, dit ce dernier, survolté par le succès du défi. Il fallait quelque chose de significatif — à la hauteur de la mission de JMDM — qui allait enclencher une vague d’intérêt à la fois envers la cause, mais aussi l’événement. »

Il lui aura finalement fallu près de 18 mois pour convaincre le conseil d’administration. « Plusieurs doutaient de l’accessibilité, d’autres de la faisabilité. Tout compte fait, force est d’admettre que c’est une réussite sur toute la ligne », renchérit celui qui en a vu d’autres : n’a-t- il pas implanté des écoles de musique à Kitcisakik (communauté autochtone près de Val-d’Or), Montréal, Québec, Sherbrooke et… en Inde?


Jour 1 : Montréal-Sorel

Les participants au Dfi Kayak dans le Vieux-Port de Montral  PRuel

Habitué des cargos, le port montréalais est ce matin rempli d’une flottille pour le moins impressionnante. Au départ, le long convoi multicolore attire les curieux qui s’entassent au quai de l’Horloge. Mené par les zodiacs et les encadreurs expérimentés, le peloton respecte le rythme de chacun, et le fleuve lui donne un coup de main dès la pointe de l’île Sainte-Hélène.

Premier arrêt à Verchères, pour récupérer le sac dans lequel un lunch tout prêt récompense les efforts du matin. Déjà, les amitiés se lient : « Je parcours la 138 entre Québec et Montréal fréquemment, mais c’est la première fois que j’ai droit à ce point de vue! » confie Alejandro Montano Michaud, kayakiste d’eau vive à ses balbutiements en mer.

L’étonnante logistique de même que la sécurité prédominante autour de l’événement font fi des appréhensions des participants, et même des caprices du fleuve. Si l’après-midi sera long et chaud, les conversations raccourciront le défilement des paysages.

À l’arrivée à Sorel, une troupe d’oiseaux s’envole devant l’embarcation du porte-parole Yann Perreau, qui entonne a capella son tube à ce propos. Pas de doute, ce ne sont pas les 76 km parcourus qui l’empêcheront ce soir de fouler les planches! Même les plus exténués trouveront la force de se brasser le bas du corps, prisonnier de l’embarcation pendant près de onze heures aujourd’hui.


Jour 2 : Sorel–Trois-Rivières

Les participants au Dfi Kayak  PRuel

Ce n’est pas ce matin que les inquiétudes météorologiques seront accaparantes. L’absence de vent arme de courage les troupes qui doivent franchir le long lac Saint-Pierre — qui avait imposé ses lois aux kayakistes l’année précédente : les vents y mènent en maîtres, pouvant créer d’imposantes vagues.

À la suite du dîner à la marina de Louiseville, le commodore François Rainville motive les troupes : « Vous allez franchir un segment qui ne fut pas complété l’an passé! » La visibilité étant à son paroxysme (près de 40 kilomètres), le pont Laviolette nous lorgne depuis maintenant 3 heures, donnant l’impression que nous n’arriverons jamais.

De nombreuses baignades, causeries et anecdotes enjolivent la torture que cause l’éternelle vision du lien entre les deux rives. C’est ce qui caractérise le Défi : la camaraderie instantanée qui s’instaure dès le départ, de laquelle découle un redoutable effet d’entraînement.

Chaque sirène de porte-conteneurs, chaque cri de riverain, chaque encouragement de l’embarcation voisine contribue à franchir les gargantuesques distances entre les étapes.

Le soir, la douche chaude (avec du Elvis en trame sonore!) de même que le succulent souper préparé par le primé restaurant Saint-Amour de Québec revigorent rapidement les trapèzes endoloris. Les folleries de Philippe Brach endiablent les pagayeurs, qui trouvent encore de l’énergie pour ce spectacle sous les étoiles.


Jour 3 : Trois-Rivières–Portneuf

Les participants au Dfi Kayak sur la plage  PRuel

Les bénévoles s’activent dès l’aurore : certains sous la tente au déjeuner, d’autres à la plage de l’île Saint-Quentin, afin d’amener les embarcations près de l’embouchure du Saint-Maurice.

Le souci matinal primaire est l’apparition d’ampoules, nées des milliers de coups de pagaie enfilés depuis le départ de la métropole; l’équipe médicale veille au grain. La météo est une fois de plus au beau fixe, laissant présager une journée agréable. L’effet des courants se fait quelque peu sentir, mais c’est une fois de plus la rassurante présence d’un nombre si imposant de kayakistes qui motive le plus.

La réverbération du soleil cause cependant des soucis à plusieurs : déshydratation, insolation et fatigue amputent le peloton. Les dessalages pour se rafraîchir sont fréquents, les pauses sont ordonnées chaque heure par le commodore, qui multiplie les encouragements et appels à l’entraide, enjoignant aux meneurs de substituer leur place à ceux qui ferment la cohorte flottante.

La plage de Batiscan miroite sous l’effet de la chaleur au dîner, et le retour sur le fleuve s’accompagne d’un vent sud-ouest, modifiant la mer d’huile du matin, dorénavant bousculée par un clapotis. Mais le souffle s’estompe à Sainte-Anne- de-la- Pérade, favorisant le retour de cette « mer qui charri[e] un souffle épais et ardent », comme l’écrivait Camus.

Tous sont impatients de franchir le rapide Richelieu à la hauteur de Deschambault, qui, en plus de nous donner de l’allure, annoncera l’arrivée de Portneuf, où nous camperons une dernière nuit.

Saluant à tribord la pointe Platon, le cortège profite des remous du seul endroit où le débit est accentué par un rétrécissement marqué. Les félicitations fusent au loin de la marina. Le pied posé au sol, les douleurs aux phalanges sont rapidement oubliées : les high fives fusent au terme de cette journée exigeante. Fierté et accomplissement se lisent sur tous les visages.


Jour 4 : Portneuf–Québec

 

La dernière étape. Déjà, la nostalgie est palpable au réveil, entremêlée à la satisfaction d’avoir presque bouclé le trajet. La radio VHF grésille les prévisions de la météo marine : outre le risque d’orages, des vents de près de 25 nœuds (45 km/h) pourraient se mettre de la partie. Le ciel ennuagé laisse croire à une accalmie, le temps de parcourir les 56 kilomètres nous séparant de Québec. L’embouteillage à la sortie du brise-lames portneuvien laisse deviner la détermination de tous à terminer la tête haute le défi, quoi qu’en dise la météo.

 

Rapidement, la houle s’installe à la hauteur de Cap-Santé, et les vagues laissent paraître à leur crête cette écume dont les kayakistes ont appris à se méfier. Mais la synergie du groupe de même que la constante supervision des équipes avoisinantes auront été assurément plus fortes que le fleuve, pourtant qualifié depuis des lustres de cours d’eau difficile à naviguer.

À quelques kilomètres de Neuville, dernière pause-repas avant la consécration, la réalité reprend toutefois sa place. « Nous devrons dîner en 15 minutes; le dernier segment sera tumultueux, et les possibilités de remorquage et d’évacuation s’amincissent. Si vous avez éprouvé des inconforts ce matin, il serait peut-être judicieux de vous rendre à Beauport en navette, quitte à rejoindre le peloton à la dernière étape, au club de yacht de Sillery », annonce Patrice Boulay, encadreur, dans un ton laissant percevoir davantage la compassion que l’autorité.

Éole est bien présent et souffle à tribord, et chacun voit sa proue frappée par de bonnes vagues. Ces conditions s’ajoutent au courant bien présent dans l’entonnoir où les liens entre Québec et Lévis trônent. Les ponts vers lesquels fuit la ligne d’horizon ne sont cette fois pas un calvaire à endurer, mais un objectif terminal sonnant symboliquement l’arrivée tant souhaitée.

Un arrêt sous ces derniers nous fait ressentir la finalité de notre périple. Puis, un navire de la garde côtière nous escorte le long des icônes de la Vieille Capitale : au loin, les traversiers, puis le château Frontenac, sentinelle signifiant notre arrivée prochaine.

Les derniers coups de pagaie sont effectués dans l’automatisme le plus pur; portés par l’effervescence; ravis par l’accomplissement, tous n’ont dans la mire que la plage de Beauport, qui, a contrario de toutes les landes de terre aperçues depuis Montréal, approche rapidement. Une foule survoltée nous attend, et les nombreuses accolades symbolisent la réussite et l’achèvement d’une expérience marquante. À peine la pagaie déposée que, déjà, on entend : « On s’y voit l’an prochain? »



À lire aussi : 14 beaux endroits où faire du kayak de mer au Québec

Commentaires (0)
Participer à la discussion!