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  • Crédit : Nicolas Gagnon

Route des navigateurs : au fil de l’eau à vélo

Entre Nicolet, dans le Centre-du-Québec, et Sainte-Luce, dans le Bas-Saint-Laurent, la Route des navigateurs forme un itinéraire de 470 km qui chevauche trois régions et une partie de la Route verte 1, le long du fleuve. Notre journaliste l’a parcourue à vélo, sur la vénérable route 132.


Mon trajet sur la Route des navigateurs, il commence par un feu d’artifice, celui de la Saint-Jean, à Nicolet. Je ne peux rêver d’un meilleur départ, comme s’il s’agissait de la célébration du début de mon voyage ! Le lendemain matin, pourtant, pas de fanfare ni de tapis rouge pour mes premiers coups de pédale, mais une furieuse envie de rouler à la rencontre du fleuve. Pendant plusieurs jours, il sera mon partenaire de route, mon spectateur impassible, qui n’a pas besoin de parler pour signifier qu’il est bien présent.

Saint-Laurent est pourtant d’humeur changeante. Dans le Centre-du-Québec, il est un compagnon tranquille et serein qui porte bien son nom amérindien, Magtogoek, « la rivière qui marche ». Mais plus je roule et plus je le sens gagner en tempérament et en énergie. Avant Québec, les ondulations de sa surface m’obligent moi aussi à parcourir une route plus sinueuse. Pas une mauvaise chose pour ceux qui détestent les longues lignes droites sans fin !

Passé la capitale québécoise et l’île d’Orléans, le débit du fleuve s’accélère (mais pas mon coup de pédale !). Les marées sont fortes, les deux rives s’éloignent l’une de l’autre. Il faudra attendre Kamouraska et le Bas-Saint-Laurent pour sentir les premières odeurs iodées. Ici, le fleuve n’est plus un cours d’eau comme les autres, mais une vraie mer intérieure.

Cyclistes, badauds et ras-le-bol

La Route des navigateurs compte d’innombrables attraits touristiques, mais s’il fallait n’en citer qu’un seul, je pencherais pour le Domaine Joly-De Lotbinière (domainejoly.com). Un havre de paix de 138 hectares figé au 19e siècle, avec une maison bâtie en 1851 par une riche famille bourgeoise et qui s’intègre toujours harmonieusement aux environs avec ses jardins luxuriants, sa forêt ancienne (reconnue écosystème forestier exceptionnel du Québec) et le fleuve.

Plus qu’un simple itinéraire cyclable, la route 132 est aussi pour moi l’occasion d’aller à la rencontre des habitants du fleuve. En 470 km, j’ai pu croiser toutes sortes de personnages, et pas seulement des conducteurs enfermés dans leur voiture ou leur camion. Des mordus de vélo, comme Joan et Ken, un couple de Colombie-Britannique, qui apprécient particulièrement ce coin de pays pour leurs pérégrinations cyclotouristiques.

« Dans l’Ouest, il y a de très longues distances entre les villes, alors qu’ici, les villages sont plus rapprochés, expliquent-ils. En plus, la Route verte est très bien signalisée : pas besoin de sortir la carte, et on profite du paysage sans se poser de questions sur l’itinéraire. »

D’autres ont plus de mal à pédaler longtemps. Comme Christian, un Montréalais qui s’est mis en tête de rouler jusqu’en Gaspésie pour en faire le tour. Sauf que son équipement lourd, encombrant et peu adapté à de longues expéditions a eu raison de sa motivation. Je le trouve allongé sur le bord de route, quelques kilomètres après Rivière-du-Loup, le moral dans les chaussettes. « J’aime le vélo, mais là, j’en peux plus ! » La conversation s’engage. « Je suis un ancien toxicomane et je me suis mis au vélo pour me purger, dit-il. Je pars en région parce que j’en ai marre de Montréal et de ses habitants... » Quand la fatigue est physique et morale, les verrous sautent et la parole se libère.

Crdit : Nicolas Gagnon

Un peu partout, on croise aussi de nombreux flâneurs qui s’attardent le long de la rive. Des « gardiens de la berge », comme Jacques. Assis à une table, à l’entrée de Saint-Pierre-les-Becquets, il contemple le fleuve, une clope au bec et une bière à la main. « Je viens souvent ici, surtout en ce moment, quand j’en ai assez de peindre ma maison, confie-t-il. Je vois passer les bateaux, j’imagine où ils vont et d’où ils viennent. Le Saint-Laurent et moi, on est comme un vieux couple ! »

« La société québécoise s’est déconnectée du fleuve »

Justement, quelle relation entretiennent les habitants de la rive avec le fleuve ? « Nous sommes fortement attachés au Saint-Laurent, c’est notre identité, notre histoire », me répond Claire Parent, qui travaille au Centre de la biodiversité du Québec, un musée-zoo perché sur les hauteurs de Bécancour, dans le Centre-du-Québec. Mais pour Carole Bellerose, directrice générale du centre, de nombreuses menaces pèsent encore sur le fleuve. « Autrefois, c’était un dépotoir, on y jetait tout et n’importe quoi, dit-elle. Il a fallu faire un gros travail de conscientisation sur les déchets. » L’épisode pas si lointain du « flushgate », à Montréal, nous montre qu’il reste encore beaucoup à faire.

« Si le fleuve est un axe majeur vers l’étranger, la navigation intérieure a paradoxalement fortement diminué, constate Alexandre Poudret-Barré, directeur du Musée maritime du Québec, à l’Islet (Bas-Saint-Laurent). Les quais, autrefois lieu de rassemblement des riverains, se sont vidés. La société québécoise s’est déconnectée du fleuve et ne le considère plus que comme un paysage, presque un simple lac. On a même peur de lui, avec ses vagues et ses marées. On a perdu ce lien d’intimité. »

Moi qui pensais en avoir créé un avec lui en parcourant la Route des navigateurs, me voilà un peu troublé. Et si, la prochaine fois, au lieu du vélo, je prenais un bateau pour descendre le Saint-Laurent ?


Quelques escales où jeter l’ancre

St-Antoine-de-Tilly. Crdit : S. Allard
  • Villages

Ils vous feront mettre pied à terre, dans Chaudière-Appalaches : Saint-Antoine-de-Tilly et Saint-Michel-de-Bellechasse, pour leurs maisons patrimoniales en bois peint, tous deux membres des plus beaux villages du Québec ; Saint-Jean-Port-Joli et sa pépinière d’artistes, de sculpteurs, de luthiers et de peintres.

  • Plein air

Dans le Bas-Saint-Laurent, la SEBKA (sebka.ca) constitue un terrain de jeu de rêve pour le kayak de mer et l’escalade de roche, sur les splendides falaises de Saint-André-de-Kamouraska. Son grand frère, le parc national du Bic (sepaq.com/pq/bic), est un autre must des environs de Rimouski.

  • À boire et à manger

 Le charmant Café Grains de folie (facebook.com/cafegrainsdefolie), à Trois-Pistoles, est sans prétention aucune, mais ses tartes et pizzas sont réconfortantes, et son café, revigorant.

À Saint-André-de-Kamouraska, on apprécie s’échouer à la microbrasserie Tête d’Allumette (tetedallumette.com), tant pour les excellentes bières maison que pour la superbe terrasse donnant sur le fleuve.

Au Bic, Chez Saint-Pierre (chezstpierre.ca) figure parmi les 100 meilleures tables au Canada, rien de moins.

  • Musées

Centre de la biodiversité du Québec : biodiversite.net.
Musée maritime du Saint-Laurent : mmq.qc.ca.

  • À lire

Le Saint-Laurent – guide de découverte, par Thierry Ducharme, Guides de voyage Ulysse, 34,95 $, guidesulysse.com.


VIDÉO - Ode au Saint-Laurent, poème de Gatien Lapointe, mise en image par DiZi Films

 

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