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  • Crédit: Louis Rousseau

Louis Rousseau : L'Himalaya en toute sérénité

En juillet dernier, Louis Rousseau et ses compagnons autrichiens ont ouvert une nouvelle voie en style alpin sur le Nanga Parbat pour parvenir au sommet du neuvième plus haut sommet du monde (8125 mètres). Cet agent en santé publique a également tenté deux fois l'ascension du K2, sans succès. Il serait devenu le premier Québécois à atteindre ce sommet mythique.

Comment vous êtes-vous retrouvé sur les sommets de l'Himalaya?
J'ai sauté une étape... non, disons plusieurs étapes! J'avais commencé à m'intéresser à la montagne, à donner des cours, à développer un réseau d'amis passionnés, puis à voyager pour découvrir de nouveaux horizons. Cela m'a amené à parcourir les Andes et l'Alaska. Puis, j'ai écrit directement à Gerfried Goschl, le chef d'une expédition autrichienne qui se préparait à aller au Broad Peak et au K2, pour fêter les 50 ans de la première ascension autrichienne du Broad Peak. Normalement, ça ne se passe pas comme ça, mais il faut aller chercher de telles opportunités. Gerfried a accepté que je me joigne à leur groupe et je me suis retrouvé pour la première fois dans l'Himalaya en juillet 2007.

Quand avez-vous décidé de retourner au K2?
En 2007, nous avions atteint le sommet du Broad Peak, mais pas celui du K2. Alors, nous avons laissé notre équipement à Islamabad, parce qu'on savait qu'on reviendrait deux ans après. Cette année, nous avons fait deux tentatives sur le K2. La première fois, nous avons été arrêtés par la neige, à 7300 mètres. La deuxième fois, nous y sommes retournés plus nombreux. Il y avait une douzaine de nationalités : japonaise, russe, coréenne, kazakh, américaine... Nous avons passé les deux endroits les plus dangereux, mais nous avons dû nous arrêter à 300 mètres du sommet. On s'est acharnés, mais la neige qui s'était accumulée était trop instable. L'an passé, il y a eu 11 morts à cet endroit sujet aux avalanches…

Comment prépare-t-on le tracé d'une voie jamais empruntée?
Nous voulions être sûrs de faire quelque chose de nouveau sur le Nanga Parbat, pas seulement une variante d'une voie déjà tracée. Cela nous a pris un an pour trouver le bon scénario. Nous voulions faire l'arête nord-ouest. Nous avons trouvé un couloir de huit cents mètres sur Google Earth. C'est exceptionnel la précision qu'on trouve sur ce logiciel! Par exemple, quand on regarde l'Everest, c'est très détaillé. Nous avons cherché la nouvelle voie en nous promenant virtuellement autour du Nanga Parbat et nous avons fini par la trouver. On a grimpé comme prévu. On savait très bien où on allait sans jamais y avoir mis les pieds. C'était juste plus abrupt qu'on pensait, avec une section de glace de 200 mètres vers la fin… d'un seul pouce d’épais. Quand on a cramponné, ce n'était pas trop stable, mais arrivé au bout, on a aperçu le Camp 4 en bas. On riait : c'était juste parfait! On s'est mis à crier et les autres sortaient de leurs tentes et nous faisaient signe.

Quand vous repensez à votre ascension, qu'est-ce qui vous a le plus marqué?
J'en reviens pas. Juste voir le Nanga Parbat, ça aurait été génial. Mais d'avoir ouvert une nouvelle voie, ça vous apporte une paix, une sorte de fierté teintée d'humilité. La montagne n'est finalement qu'un décor. Ce que nous vivons là-bas, c'est surtout la camaraderie sur un fond de montagne. Je préfère ouvrir une nouvelle voie avec mes camarades plutôt que d'accumuler les « 8000 ».

Vous a-t-il fallu un équipement important pour ouvrir cette nouvelle voie?
Non. Nous l'avons fait en style alpin. Au camp de base, les autres équipes avaient beaucoup de porteurs, de l'oxygène, de grandes longueurs de corde fixe. Au lieu de monter installer des camps chaque jour plus haut et de nous acclimater, nous sommes montés avec peu de matériel, mais en progressant chaque jour. Nous sommes montés avec tout ce dont nous avions besoin. Nous n'avions pas plus que 50 mètres de corde et trois vis à glace... (Il sourit). Les Autrichiens sont habitués à cette technique. Nous nous sommes acclimatés sur la voie normale jusqu'au Camp 3, puis nous sommes redescendus au camp de base pour partir vers la nouvelle voie.

Crédit: Louis RousseauComment s'est passée la montée vers le sommet du Nanga Parbat?
Nous sommes partis plus tôt que prévu pour aller secourir un ami autrichien, Wolfgang. Il était monté avec une équipe de Coréens. Ils sont arrivés tard au sommet, vers 19 heures. Nous avons reçu un appel de détresse des Coréens peu après 21 heures. Une de leurs équipières, Mi-Sun-Go (qui participait à la course aux 14 « 8000 ») avait des problèmes. Aussitôt, nous avons décidé de grimper dès que possible. Dans l'ascension, nous avons croisé les Coréens. Tous les six pas, Mi-Sun-Go s'effondrait. Ils nous ont affirmé qu'ils n'avaient pas besoin d'aide et que la dernière fois qu'ils avaient vu Wolfgang, il était près du sommet.

Qu'avez-vous fait?
Nous avons presque couru en direction du sommet. À 50 mètres de la cime, nous avons trouvé son sac à dos, une mitaine et son piolet. Il y avait des traces de chute dans la neige. Nous les avons suivis. On distinguait la trace des épaules et des jambes. Nous avons ensuite trouvé sa tuque. Les traces montraient qu'il avait chuté jusqu'à un précipice. Nous ne l'avons pas retrouvé. Nous avons dû prévenir sa famille. Il avait une fille et il était grand-père.

Qu'est-ce qui a pu se passer?
J'imagine qu'il a perdu pied en voulant nous appeler. Les traces montraient qu'il était dos à la pente et qu'il avait enlevé une mitaine. Il voulait nous dire qu'il était arrivé au sommet et qu'il s'apprêtait à descendre.

En bas, une polémique vous attendait...
Nous avons retrouvé le groupe de Coréens. Nous avons appris que Mi-Sun-Go avait fait une chute mortelle dans un passage où la corde fixe avait été enlevée. C'est une autre équipe coréenne qui avait coupé la corde et nous l'avions emportée pour la placer à un endroit plus dangereux. Les Coréens ont reproché l'absence de la corde. Pourtant, toutes les équipes avaient approuvé le fait qu'on la déplace.

Comment les Autrichiens ont-ils accueilli le Québécois que vous êtes?
À la fin de la nouvelle voie, nous nous sommes retrouvés au pied d'une cascade impressionnante. Gerfried, le chef de l'expédition, s'est tourné vers moi et m'a lancé : « À toi le Québécois! ». Nous avons un avantage au Québec : la longueur de notre hiver. Mes équipiers autrichiens ont moins de temps pour escalader des cascades de glace. Je suis donc passé devant. On avait peu de matériel. Je montais. Je fixais les cordes en premier de cordée, ils me rejoignaient et je repartais. Gerfried a appelé cette cascade le « Rousseau Ice Wall. »

Crédit: Louis RousseauÊtes-vous prêt à prendre tous les risques pour aller au sommet?
Il faut savoir s'arrêter et redescendre. En 2007, je m'étais arrêté dans l'ascension du Broad Peak. Les autres ont continué, mais ils n'ont pas pu atteindre le sommet. Wolfgang était venu s'assoir à côté de moi et m'avait convaincu de redescendre. Ce que j'avais fait.

Comment faites-vous pour vous entraîner à Montréal?
C'est simple. Je vais au Mont-Royal que j'attaque par la face du Cepsum! (Rires). Du côté de l'Université de Montréal, il y a un terrain avec une pente de 30 à 35 degrés. C'est la pente la plus longue de Montréal. C'est la pente parfaite pour s'entraîner durant l'hiver. Je me leste avec 20 kilos de poids et je la monte à la course une dizaine de fois, trois à quatre fois par semaine. Je complète mon entraînement avec un peu de natation, du jogging et beaucoup de repos.

Quel sera votre prochain objectif?
Mon vrai défi sera d'arriver à trouver un équilibre entre mes projets en montagne et ma vie ici. Je ne l'ai pas encore trouvé. Ce n'est pas facile pour ma conjointe de me savoir sur les pentes de l'Himalaya, même si c'est elle qui gérait mon site Web pendant que je grimpais.

REPÈRES
K2  :
8611 mètres, deuxième plus haut sommet du monde (après l'Everest).
On compte davantage d'astronautes que d'alpinistes parvenus au sommet du K2. Il est dix fois moins fréquenté que l'Everest.


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Louis Rousseau

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