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  • Magasin MEC © Robb Thompson

Armes à feu et plein air : jusqu’où doit-on boycotter?

Maintenant que MEC a annoncé qu’elle ne vendrait plus les produits de Vista Outdoor, liée au lobby pro-armes, d’autres détaillants suivront-ils ?

C’est maintenant connu : le 1er mars, la haute direction de Mountain Equipment Co-op (MEC) a annoncé qu’elle ne distribuerait plus les produits de Vista Outdoor. 

Ce holding, qui possède notamment les équipementiers Bell, Bollé, Bushnell, CamelBak, CoPilot et Jimmy Styks, est également propriétaire de Savage Arms, l’un des plus grands manufacturiers de munitions et d’armes à feu des Etats-Unis, en plus d’être un lobbyiste pro-armes très engagé.

Ce faisant, MEC prenait acte d’une pétition signée par près de 50 000 personnes en trois jours – et qui continue toujours de recueillir des signatures.

En entrevue avec Espaces depuis Vancouver, le chef de la direction de MEC, David Labistour, a indiqué qu’il avait pris cette décision parce qu’elle pouvait faire une différence et servir d’incitatif à une réflexion sur le contrôle des armes à feu – surtout les armes d’assaut, qu’on peut si facilement se procurer aux États-Unis.

« C’est une préoccupation de plusieurs de nos 5 millions de membres, et un sujet particulièrement délicat dans les circonstances, alors qu’on a encore bien en tête la tuerie de Parkland [le 14 février dernier] », dit-il. « Faire preuve de leadership et tirer parti de la force de notre communauté comptent parmi les valeurs fondamentales de MEC », avait-il précédemment annoncé dans une lettre ouverte publiée sur le compte Facebook de MEC.

Une décision majoritairement appréciée

Si plusieurs ont apprécié l’initiative, d’autres auraient préféré que ce soit le consommateur qui prenne ultimement la décision de se procurer ou non un produit, s’il juge que de la sorte, il contribuera à changer les choses. Après tout, ce n’est pas parce qu’on porte un casque Giro ou qu’on s’hydrate avec un sac CamelBak qu’on encourage directement l’industrie et le lobby des armes à feu, disent-ils.

« J’en étais conscient en prenant ma décision, d’autant plus que toutes les entreprises visées existaient bien longtemps avant d’être rachetées par Vista Outdoor », ajoute David Labistour.

« Si seulement les entreprises de plein air appartenaient encore toutes à des gens de plein air, on n’en serait pas là », déplore pour sa part Yves Robert, directeur marketing de La Cordée.

Sur la page Facebook francophone de MEC, le geste de la coop canadienne a été très majoritairement salué, bien que certains ne voient pas l’utilité de retirer des produits sur des tablettes canadiennes pour contribuer à enrayer un problème qui concerne essentiellement les États-Unis.

Paradoxalement, une pétition au même effet visant REI – le « MEC états-unien » – a pris plus de temps à soulever les passions. Le 1er mars, REI annonçait finalement qu’elle suspendait ses liens avec Vista… parce que le holding refusait de faire une déclaration publique et avancer des solutions, en tant que propriétaire de Salvage Arms – qui fabrique une arme d’assaut semblable à celle utilisée dans la tuerie de Parkland.

MEC, bouc émissaire d’une industrie ?

De part et d’autre de la frontière, certains seraient par ailleurs tentés de penser que ce sont les coopératives comme MEC et REI qui écopent et servent de bouc émissaire en l’espèce, en étant les principales (voire les uniques) cibles des pétitions.

« Nous ne le voyons pas de cet oeil, et nous ne sommes pas là pour dire aux autres détaillants quoi faire, assure David Labistour. Mais si jamais ils sont aux prises avec les mêmes pressions de la part de leur clientèle, j’invite leurs dirigeants à entrer en contact avec moi pour que nous en discutions ».

Qu’en pensent les autres détaillants qui distribuent les produits de Vista Outdoor? « Nous sommes dans la même situation que MEC, et nous sommes présentement en réflexion forcée, poursuit Yves Robert. Si notre clientèle nous fait comprendre qu’elle ne veut plus de ces produits, nous allons agir en conséquence comme nous l’avons fait avec Canada Goose [jadis critiquée pour intégrer de la fourrure de coyote dans certains de ses manteaux]. Mais pour l’instant, nous ne sentons pas cette pression. Et nous n’avons pas à décider si nous nous approvisionnerons à l’avenir auprès de ces manufacturiers : nous en avons pour des dizaines de milliers de dollars en inventaire… »

Sur les pages Facebook de SAIL et Sportium, aucune mention concernant les produits de Vista n’apparaît – et personne n’est par ailleurs intervenu pour demander au détaillant de prendre position, pas plus que chez Atmosphère/Sports Experts ou Altitude Sports.

La question demeure : devraient-ils le faire pour joindre un mouvement qui prend déjà de l’ampleur aux États-Unis, alors que plusieurs entreprises, liées ou non au plein air, coupent ou modifient leurs liens d’affaires avec les manufacturiers d’armes d’assaut et de munitions? Ou devraient-ils simplement laisser les clients choisir les produits qu’ils veulent ?

Acheter, c’est voter, mais…

Paradoxalement, si les armes d’assaut sont responsables de la mort de centaines de personnes aux Etats-Unis, les équipementiers visés par la pétition permettent souvent de sauver des vies : qu’on pense simplement aux casques Bell (entreprise fondée en 1954) et Giro (fondée en 1985), comme le rappelle Outdoor Gear Canada, qui distribue ces produits (ainsi que CamelBak et Blackburn) au Canada.

« De toute évidence, nous avons intérêt à ce que ces entreprises continuent de prospérer, explique David Bowan, président de OGC. Je comprends l'impulsion suscitant les récents appels au boycott. Cependant, je ne suis pas convaincu de l’impact qu’aurait un tel boycottage sur la restriction de l’accès aux armes à feu aux États-Unis […] Nous avons donc l'intention de continuer à soutenir [ces manufacturiers] et à vendre leurs produits. »

« La décision est d’autant plus difficile que CamelBak, par exemple, est un leader dans son domaine, et qu’il n’existe pas grand chose d’aussi performant en matière de système d’hydratation », ajoute Yves Robert.

Cela dit, même si acheter, c’est voter, encore faut-il savoir pour qui. Car les détaillants ont beau avoir bonne conscience, il est devenu souvent fort ardu de vérifier la responsabilité sociale des manufacturiers. « Il est de plus en plus difficile de suivre l’évolution des ramifications des entreprises, avec tous ces rachats par de grands groupes », confirme Yves Robert.

« Avant la pétition, nous ne savions pas que ces manufacturiers faisaient partie d’un groupe très actif dans la promotion des armes à feu, explique David Labistour. Jusqu’ici, nous ne faisions que vérifier l’empreinte environnementale et l’approvisionnement responsable des manufacturiers que nous distribuons. Désormais, nous allons aussi nous pencher sur leurs structures de propriété. »


Qui vend Vista Outdoor au Québec ?

- Camelbak : SAIL (127 produits), La Cordée (32 références), Atmosphère/Sports Experts (34 produits), Sportium (24 produits), MEC (30 produits), Altitude Sports (15 produits).

Giro : La Cordée (35 références), Atmosphère/Sports Experts (11 produits), Sportium (23 produits), Altitude Sports (24 produits).

- Bollé : Atmosphère/Sports Experts (11 produits), MEC (3 produits), Altitude Sports (12 produits).

- Jimmy Stycks : MEC (5 produits).

- Bell : La Cordée (6 produits), Atmosphère/Sports Experts (16 produits), Sportium (13 produits), Altitude Sports (24 produits).

*nombre de produits vendus sur leur site web.

(Antoine Stab)

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