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Quelle voix pour le citoyen?

Depuis 1978, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) permet aux Québécois de participer aux discussions sur les conséquences environnementales de certains grands projets de développement. Avant que des décisions irréversibles ne soient prises, chacun peut faire valoir son opinion. Mais quelle est donc réellement la place réservée à cette parole citoyenne?

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement est chargé de faciliter la consultation de l’opinion publique sur divers enjeux. Mais, le BAPE intervient seulement sur un nombre limité de projets. Exceptionnellement, il peut faire enquête sur des sujets plus généraux, par exemple l’eau ou la production porcine. Le ministre peut aussi mandater cet organisme pour des cas précis, comme lors de la vente d’une partie du parc national du Mont-Orford.

Au cours des dernières années, de nouveaux champs d’intervention sont apparus pour le BAPE dans le domaine des aires protégées. Depuis l’adoption de la Loi sur la conservation du patrimoine naturelen 2002, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs peut confier au BAPE la tenue d’une consultation publique avant que le gouvernement accorde un statut permanent à un territoire protégé à titre de réserve aquatique (comme les rivières Ashuapmushuan et Moisie) ou de réserve de biodiversité (comme celle des lacs Vaudray et Joannès). D’autre part, en vertu de la Loi sur les parcs (qui ne mentionne pas le BAPE), le ministre responsable a donné mandat à un membre du BAPE de tenir des consultations sur le projet de création du parc national Albanel-Témiscamie-Otish.

Déficit démocratique

À première vue, on pourrait croire que le droit de participation des citoyens à la prise de décision et le droit d’accès à l’information en matière environnementale se portent bien. Il n’en est rien! La procédure d’évaluation environnementale souffre de nombreuses carences. Le BAPE intervient tardivement sur un nombre limité de projets et avec un temps réduit au minimum pour la participation du public.

De plus, les informations et les études d’impact sont souvent incomplètes, trop fragmentaires pour que les citoyens puissent se faire une opinion adéquate du projet. Pour couronner le tout, le gouvernement écarte fréquemment les recommandations du BAPE. Et ce, sans même motiver ses raisons! Ce qui accentue le cynisme par rapport à l’utilité de ces procédures.

Pire encore pour les aires protégées : le ministre n’est pas tenu de rendre public le rapport du BAPE dans un délai précis. Il a fallu attendre presque deux ans avant qu’il divulgue celui sur le projet de la rivière Ashuapmushuan! De plus, à ce jour, aucun territoire mis en réserve et soumis à la consultation publique n’a obtenu un statut de protection permanent.

L’odeur de l’argent

Les audiences publiques du BAPE représentent l’unique lieu où la population et les organismes intéressés peuvent donner leur avis sur les orientations de gestion et de conservation régionales, ainsi que sur les limites des aires mises en réserve, les mesures de protection et les modalités de gestion envisagées. En revanche, les acteurs économiques importants ont l’occasion de s’exprimer bien avant les audiences ouvertes au public.

Dans le cas de l’Ashuapmushuan, le projet initial du gouvernement visait à protéger un territoire de 800 km², selon une approche logique de protection par bassin versant. Puis, il fut décidé de considérer uniquement le corridor visuel perçu par les différents utilisateurs de la rivière à partir d’un modèle numérique (un peu comme les « bandes forestières » en bordure des routes), ce qui a réduit le projet à un territoire de 500 km². Finalement, la compagnie Abitibi-Consolidated a convaincu le gouvernement de diminuer encore cette zone « en calculant le champ visuel théorique selon la taille des arbres comme base de modèle de terrain »! Bref, s’il y a de grands arbres en bordure de la rivière, pas besoin de protéger plus loin! Le projet soumis à la consultation du public a donc été réduit à une zone de 227 km². On se demande encore quelle superficie le gouvernement protégera concrètement… s’il le fait un jour.

Ce n’est pas la première fois que l’économie l’emporte sur les considérations écologiques ou sociales. Pourtant, l’atteinte d’un développement durable exige qu’on place ces notions sur le même pied. Le droit international souligne qu’une information complète et une pleine participation des citoyens sont des moyens essentiels pour assurer une telle égalité de traitement.

Malgré cela, de nombreuses voix influentes au Québec continuent de dénoncer la trop grande place qu’occupe la consultation publique et les groupes de citoyens au Québec. Selon eux, cela entraînerait un supposé « immobilisme ». Dans sa récente « Stratégie énergétique », le gouvernement a annoncé son intention de soustraire tous les projets énergétiques du processus conduit par le BAPE, pour les confier au seul examen de la Régie de l’énergie dès 2008! Une réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement et de la procédure d’évaluation environnementale est aussi à l’étude et pourrait bientôt nous réserver de mauvaises surprises…

Tout amateur de plein air et de nature devrait directement se sentir concerné par les travaux du BAPE et l’avenir qui lui est réservé. La vigilance n’est pas seulement de mise que dans la pratique de nos loisirs préférés : la pérennité des lieux où ils sont pratiqués est tout aussi importante.

Pour en savoir plus : consulter les rapports du BAPE sur les aires protégées.

 

Crédit: Courtoisie Jean BarilCrédit: Presses de l'Université Laval

 

Jean Baril, avocat spécialisé en droit de l’environnement, vient de publier « Le BAPE devant les citoyens » aux Presses de l’Université Laval. Il commencera cet automne un doctorat sur le droit d’accès à l’information environnementale. Amateur de pêche à la mouche, il fréquente les réserves fauniques du Québec et est propriétaire d’une terre à bois dans la région de Lanaudière, où il fait de l’aménagement faunique et forestier. Membre de plusieurs groupes écologistes, il fut candidat de Québec solidaire dans Terrebonne aux dernières élections.

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