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  • Crédit: Max Lindenthaler, Shutterstock

En voilier sur le Saint-Laurent

Au milieu du fleuve Saint-Laurent, le vent souffle à 30 noeuds, mais les rafales en font au moins 40. Notre voilier tangue tellement que le pont est par moments submergé d'eau. Les vagues percutent la coque avec puissance, ce qui nous permet de goûter un peu à l'eau salée du Saint-Laurent et de tester nos imperméables. Aujourd'hui, aucun autre voilier n'ira sur l'eau. Le rêve de partir à l'aventure sur les mers du monde à bord de son propre voilier peut sembler réservé à une élite de la voile. Pourtant, il est à la portée de tous. Depuis plusieurs années, je remettais à plus tard le projet de voguer sur les mers. En juillet dernier, l'occasion s'est présentée : en cinq jours, j'allais devenir capitaine.

Jour 1 - 24 août

Cap-à-l'Aigle  - L’eau est turquoise. Le soleil est chaud et splendide. Les algues flottent ici et là. Avec l’ambiance détenduede la marinade Cap-à-l’Aigle et l'air salin, on se croirait dans les Caraïbes. Une centaine de bateaux sont amarrés ici. Sur un superbe voilier, un vieux loup de mer prépare son gréement pour partir en mer. Un voilier entre dans la marina. Le capitaine est emmitouflé et coiffé d’une tuque. Dur retour à la réalité: il fait froid sur le Saint-Laurent, même au mois d'août!

Au bout du quai, Yvan, notre instructeur de voile, nous présente notre compagne de travail pour la semaine (en anglais, les marins parlent de leur bateau comme si c'était une femme). Aquila est un voilier-école de 26 pieds conçu aux États-Unis pour l’apprentissage. « La taille parfaite pour enseigner à quatre élèves », commente-t-il. Cette semaine,nous serons trois à bord de ce bateau de classe Colgate 26: Daniel, professeur de chimie à l'UQAM qui a toujours rêvé d'être un pirate, Richard, un bénévole du Festival plein air de Montréal qui a gagné ce cours de voile, et moi.

Gonflé à bloc, je suis prêt à affronter les mers. Mais je dois patienter encore un peu : la sécurité passe avant tout,et on doit apprendre un certain jargon avant d'aller sur l'eau. Étais, lofer, pataras, galhaubans, visdemulet, drisse, pennons, tourmentins, guindant, ralingueset j'en passe. Ces termes françaisn’ont aucune utilité à l’extérieur d’un voilier, mais ici, on doit les connaître par coeur. En quelques jours, on s’habitue à ces termes bizarres et tranquillement, on s'y fait. « Quand il y a une urgence, on doit rapidement donner des directives précises », justifie Yvan.

Vers 11 h, nous sortons en mer. Il n’y a pas de vent à la marina. Sur le fleuve, le premier cours débute avec des vents de 25 nœuds (46 km/h). Nous pendons deux ris (pour réduire la voile) et nous filons tout de même à une vitesse de plus de 7 nœuds (14 km/h). Ça semblepeu, mais quand le bateau gîte à plus de 45 degrés, l’eau froide et salée du Saint-Laurent nous éclabousse et des bourrasques de 35 nœuds nous cinglent, l’aventure devient intense. On file à toute allure. Et le spectacle est magnifique!

Le Saint-Laurent offre un point de vue unique sur Charlevoix,où les montagnes laurentiennes épousent les formes du fleuve Saint-Laurent. Les collines et les vallées verdoyantes forgées par la dernière glaciation s'alternent, laissant place ici et là à quelques champs dispersés. Les maisons perchées à même le roc du Bouclier canadien surplombent le fleuve. Les couleurs vives évoquent la chaleur charlevoisienne et invite à la découverte. De ce point de vue, je me demande pourquoi l'UNESCO a attendu jusqu'en 1988 pour reconnaître Charlevoix comme Réserve de la biosphère. 

De temps à autre, des formes blanches jaillissent de l’eau. Les bélugas valsent un peu partout autour de nous. Le voilier semble les attirer avec sa longue dérive blanche. Contrairement aux bateaux à moteur, le voilier vogue aisément et calmement sur l’eau. Au bout d’un moment, une mère (toute blanche) et son petit (gris) viennent à notre rencontre. Ils respirent et jouent dans l’eau à moins de cinq mètres du bateau. Ils se rapprochent encore en poussant de petits cris et en se frottant sur la coque. Tout le monde est excité à bord. Le vent se lève de nouveau et on se met à filer à plus de 7 nœuds (14 km/h). « Trop vite pour que les bélugas nous suivent », selon Yvan. Mais ils persistent et foncent à toute allure pour passer encore quelques instants avec nous et que la magie du Saint-Laurent continue. Un phoque nous attend à l'entrée de la marina pour nous souhaiter la bienvenue.

Pas le temps de s'ennuyer de retour sur la terre ferme. Repas gastronomique, l'art présent un peu partout, balades en patins à roulettes sur le bord de l'eau et crème glacée au coucher de soleil. Depuis 1800, Charlevoix sait comment accueillir les touristes de partout dans le monde.

Crédit: Nicolas McComber, iStockJour 3 - 26 août

Pointe-au-Pic - Dès que j’ai ouvert l'œil, j’ai entendu le vent frapper contre les fenêtres de ma chambre et je me suis dit : « Ça va brasser aujourd’hui! » En déjeunant, je demande à Yvan si le vent est trop fort pour sortir en mer. Il me répond qu’« il n’y a pas de problème. Il faut que vous en profitiez pour ressentir comment le bateau réagit par gros vents et quels ajustements vous devez faire. Vous avez la chance d’avoir un instructeur à bord. » Bref, de plus en plus intéressant!

Aujourd’hui, aucun autre voilier n’ira à l’eau: il y a trop de vent. « Plusieurs marins ne sont pas à l’aise avec des vents de 30 nœuds, alors ils préfèrent ne pas sortir. Un cours permet aux élèves de pousser leurs aptitudes plus loin, car ils sont encadrés dans un environnement sécurisant où ils reçoivent des instructions. On leur fait vivre le vent. En répétant les manœuvres qui semblent plus difficiles, les élèves prennent confianceet s’améliorent rapidement.Quand on est bien préparé, les manœuvres ne sont pas intimidantes et il n’y a aucune raison d’avoir peur.On peut prendre 15 ans pour apprendre par soi-même des techniques que l’on voit dans un cours de cinq jours. »

Yvan est souvent seul sur l’eau avec ses élèves. Quand il est arrivé à la marina de Cap-à-l'Aigle, les autres marins croyaient qu’il était casse-cou, mais peu à peu, ils se sont aperçusqu’il revenait toujours sain et sauf et qu’il formait d’excellents équipiers et capitaines. « Plusieurs marins me demandent souvent de leur recommanderdes noms d’équipiers, car ils ont confiance que nos élèves sauront quoi faire en mer, peu importe la situation. »

La voile permet à la fois d’aller chercher des sensations fortes ou de relaxer pleinement et d'admirer la nature. Il suffit de bien connaître les conditions et la pratique du sport: « Chaque été depuis cinq ans, Rochelle et moi prenons deux mois de vacances pour se consacrer à l'école de voile », dit Yvan. Pour l'amour du sport, ils transmettent leurs savoirs et les outils nécessaires pour naviguer de façon sécuritaire. En plus d'offrir des initiations en mer, les cours de croisière élémentaire et avancée, Yvan propose un tout nouveau programme de régates qui permettra aux amateurs de voile de perfectionner leurs techniques tout en apprenant à courser. « On veut donner le goût aux gens de faire de la voile, de faire des courses, de voyager à l’extérieur du pays et de profiter pleinement de la vie. »

Pas besoin de s’acheter un voilier au gros prix pour faire de la voile. Faites le tour d’une marina et vous verrez que la majorité des marins recherchent des partenaires de voile compétents pour sortir plus souvent en mer. Il ne suffit que de donner son nom à la marina ou sur des sites web spécialisés. Et selon les besoins, la location d’un bateau peut être très abordable. Îles grecques, Caraïbes, Tahiti, Îles de la Madeleine, toutes ces destinations de rêve ne demandent qu'à être conquises. 

Par moments, notre voilier avance à peine. On profite alors du paysage et des histoires de marins, de courses et de régates qu'Yvan nous raconte. Vétérinaire-dentiste de profession, Yvan est tombé dans la « potion marine » il y a maintenant 22 ans. « Il n'y a pas d'âge pour commencer à faire de la voile, et on peut en faire jusqu'à la fin de ses jours », raconte ce mordu pour qui la voile est devenue une passion instantanée dans la trentaine. 

Il nous raconte qu'un bon marin est connecté avec les éléments de la nature. « Quand on apprend à faire de la voile sur le Saint-Laurent, on doit faire face aux marées, aux courants, aux grands vents, aux hauts-fonds, aux canaux étroits, à l’eau froide, à la circulation maritime, bref à toutes les difficultés. Après ça, on peut faire de la voile partout dans le monde ». Le marin connaît la topographie des montagnes et ses impactssur la puissance du vent, le lit du fleuve qui change la direction et la force des courants, l'influence de lalune et le soleil sur les marées, les astres qui dictent le chemin à suivre etles nuages qui annoncent la météo. 

Après cinq jours aux commandes du voilier, je suis en confiance. Je comprends les termes. Je peux voir le courant qui tente de me déporter. Je lis sur le fleuve les bourrasques de vents qui se pointent à l'horizon. Je fais des ajustements et je sens le vent bomber mes voiles. Je suis en équilibre avec les éléments qui m'entourent. Distraitpar le quotidien, j'avais trop souvent remis l'apprentissage de ces « vraies choses » de la vie. 


Encore plus
• Rendez-vous Charlevoix : 418 665-9898 • rendezvous-charlevoix.com
• Pour trouver une école de voile près de chez vous : voile.qc.ca


Le meilleur : La visite des bélugas. Être sur la même longueur d'onde avec la nature qui m'entoure. Ralentir. Profiter de la vie et des paysages de Charlevoix. Apprendre à maîtriser le bateau dans des conditions difficiles.
Le pire :Trop court. Je suis déjà accro. J'en veux plus...
Le plus bizarre : Dans les grands vents, seul le bateau d'étudiant se retrouve à l'eau. Faute de partenaires ou par manque de confiance, plusieurs voiliers restent à quai. Les plus beaux bateaux sont souvent des trophées plutôt que des jouets.

 

Infos pratiques
Saison : Juillet et août. Réservation obligatoire.
Groupes : Maximum de quatre élèves par bateaux. Trois bateaux disponibles.
Durée du cours élémentaire : Cinq jours
Coût : 650 $
Infos : (418) 665-9898 - www.rendezvous-charlevoix.com
 

 

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