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  • Crédit: Laurent Granier

Laurent Granier : sur la trace des Incas

Amateur de voile et d’athlétisme, Laurent Granier a finalement trouvé sa voie… dans les montagnes. Après avoir marché au Népal et sur l’Everest, il a glissé ses pas dans ceux des grands explorateurs jusqu’à découvrir Qhapaq Ñan, le trésor d’une vie.

Sur quels continents vous ont mené vos treks ?

Notre voyage a vraiment commencé en Eurasie, en 2003. Puis, avec ma compagne Megan Son et Philippe Lansac, on a traversé l'Alaska à pied et à cheval, soit 1600 km de l'océan Pacifique à l'océan Arctique sur les traces des pionniers. Pendant six mois, on a ensuite suivi la piste de Lewis et Clark à travers les territoires sauvages de l’Ouest américain. Et puis, il y a eu cette nouvelle envie : réaliser un trek à deux dans les Andes, sur une longue durée et toujours avec un moyen de transport traditionnel… nos pieds. En marchant de l’Alaska à la Terre de Feu, on a d’une certaine façon bouclé la boucle.

Comment avez-vous découvert Qhapaq Ñan, la route des Incas ?

Presque par hasard. Marcher permet d’avoir un rythme particulier, de porter un certain regard sur les lieux et les populations rencontrées : on voulait donc marcher dans les Andes sur un tracé « historique », comme on l’avait fait lors de nos précédents treks. Puis, on a découvert Qhapaq Ñan, un chemin construit au temps de l’Empire Inca, qui s’étend sur plus de 6000 km, de l’Équateur à l’Argentine. Parmi les rares documents dont on disposait figuraient les écrits de John Hyslop, un archéologue américain qui a reconstitué une partie du tracé, et ceux de Ricardo « El Caminante » Espinosa, un expert péruvien qui nous a fait l’immense joie de venir marcher un temps avec nous.

Que représente Qhapaq Ñan ?

La nature avait une place prédominante dans la vie des Incas : elle les nourrissait et les protégeait. « Pachamama », la déesse de la terre, était vénérée. Les montagnes étaient divinisées et elles contrôlaient le destin des hommes. Suite au matraquage culturel des colonisateurs et à l'imposition du christianisme, les croyances locales se sont diluées. Malgré le métissage des cultures et l’évolution des valeurs, la nature conserve toujours une place prédominante dans la vie des communautés. Notre espoir est que cette route redevienne un trait d’union entre les peuples traditionnels de la Cordillère qui partagent l’envie de se réapproprier leur histoire commune, en partie oubliée.

Quel est l’avenir pour cette route mythique ?

Plusieurs organisations (dont l’UNESCO) œuvrent pour sa préservation. L’intérêt de la démarche est d’intégrer Qhapaq Ñan à un vaste espace naturel protégé, tout en réhabilitant le patrimoine culturel et identitaire des communautés andines. Le problème est qu’il existe un véritable fossé entre les experts qui s’intéressent à l’archéologie de Qhapaq Ñan et les habitants très pauvres qui vivent au bord de cette route. Certains ignorent même son existence! La difficulté est d’arriver à les informer pour qu’ils n’empiètent pas avec leurs champs sur la route pour la détruire accidentellement ou intentionnellement. Une loi pour protéger la route existe au Pérou, mais il est ardu de la faire appliquer à 3000 m d’altitude… C’est un travail de sensibilisation long et difficile, d’autant plus que tous les tronçons de cette route ne sont pas encore identifiés. Un important travail de cartographie reste à faire.

Quel était votre état d’esprit durant ce trek ?

En voyageant sans tente ni assistance, on a partagé des moments forts avec toutes ces communautés andines qui parlent la même langue. Il y a une vie sur cette route : des fêtes, des cérémonies chamaniques, des festivals… On a vécu aussi des situations difficiles comme au Nord du Pérou, où on nous a accusés de travailler pour une mine de la région. Mais, le fait d’être en couple nous a aidés, car les femmes sont très respectées et la présence de Megan à permis de dénouer certains conflits. Pendant 18 mois, on a vécu un jeu de piste grandeur nature! C’était une aventure très excitante : chaque matin, on se demandait ce qu’on allait découvrir. Ce qui était absolument incroyable, c’est qu’on a réussit à trouver la route du Nord de l’Équateur au Sud de l’Argentine. C’était bien elle, avec les mêmes caractéristiques… sur un trajet de 6000 km! En Bolivie et en Argentine, on a découvert des tronçons oubliés, qui n’avaient jamais été photographiés ni filmés. On s’est senti comme des découvreurs investis d’une véritable mission.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

Pour Megan et moi, ce voyage était le plus long jamais réalisé, et il a été très dur physiquement : le corps ne s’habitue jamais vraiment à une marche aussi longue. En terminant ce périple, on avait une sensation d’achèvement énorme : on a vécu un voyage fabuleux tout en ayant l’impression d’avoir fait quelque chose de bien. Nous avons redécouvert un joyau du patrimoine mondial qui pourrait devenir aussi célèbre que la Route de la Soie. Et cette aventure incroyable se passe… au XXIe siècle! L’important pour nous aujourd’hui, c’est de restituer cette richesse aux populations qu’on a visitées à travers un projet éducatif pour leur montrer ce qu’elles ne voient plus en diffusant un livre ou un film dans les écoles qui bordent la route. Sensibiliser les plus jeunes, c’est à court terme le seul moyen pour que Qhapaq Ñan ne disparaisse pas, détruite par l’érosion naturelle et la main de l’homme. Pour l’instant, nous allons nous « sédentariser » le temps de faire vivre et connaître cette route, car c’est certainement la plus belle histoire qu’on aura à raconter de notre vie…

Encore plus
Lisez À la recherche de la Grande Route Inca : 6000 kilomètres à travers les Andes, aux éditions GÉO ou visitez le site internet qhapaq-nan.com

 
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