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  • Sentier en forêt © AdobeStock

Sentiers : Designer de nature

S’émerveiller en suivant un sentier est une sensation que tous les amateurs de plein air ont déjà ressentie en se disant que la nature faisait bien les choses. Pourtant de nos jours, derrière chaque sentier, il y a souvent une intervention humaine.

Aussi beaux soient-il, les chemins sont rarement le produit de la nature. C’est l’homme qui  décide de leur passage le long d’un enchainement d’arbres ou vers une point de vue majestueux. Réussir cette intégration demande aux concepteurs tout un travail en amont, un plan balisé par plusieurs étapes incontournables. La première, c’est celle du questionnement, comme l’explique Sylvain Valiquette, en charge du développement au parc régional du Mont-Ham (Cantons-de-l’Est) . « Avant de partir avec sa pelle dans le bois, il est important de bien réfléchir et de se poser les bonnes questions. Pourquoi faire un sentier ? À quel utilisateur s’adresse-t-il ? Quel sera son niveau, facile ou difficile ? Quelles particularités mettre en avant ? »

Des questions a priori banales, mais qui en réalité sont essentielles. « Il faut absolument qu’un sentier soit justifié » indique Camille-Antoine Ouimet, responsable de la conservation au parc national du Mont-Mégantic. « Au Québec, tous ne le sont pas forcément. Le sentier, n’est pas seulement un tracé qui te mène d’un point A vers un point B. C’est un parcours qui te fait vivre une véritable expérience de randonnée ».

Il faut donc que cette expérience soit à la hauteur en suscitant l’intérêt de l’utilisateur. La question sous-jacente est celle de sa beauté. Certes, tous les goûts sont dans la nature, mais un beau projet répond à plusieurs critères connus et partagés par les créateurs : multiplicité des points de vue, diversité des intérêts présentés (arbres, roches, cours d’eau, histoire du lieu etc.) et fluidité dans la progression. Comme explique Jérôme Pelland, président de Sentiers Boréals, une compagnie québécoise qui oeuvre depuis cinq ans dans la conception et l’aménagement de sentiers. « Le but de notre travail est de faire en sorte qu’il ait une fondation solide et durable pour qu’il s’intègre parfaitement à son environnement ». « C’est aussi un ensemble de petits éléments qui va, au final, lui donner un caractère unique, rendre l’expérience intéressante et y faire revenir la personne qui l’a emprunté ».

De cette analyse découlera le tracé. Il faut alors sillonner le territoire en long et en large pour s’imprégner de l’esprit des lieux. « Malgré toutes les avancées technologiques, rien ne remplace la marche d’exploration », avoue Camille-Antoine Ouimet. « Généralement, l’identification sur le terrain d’un tracé nécessite environ deux jours de travail pour chaque kilomètre envisagé ».

Une étude de longue haleine qui s’échelonne sur plusieurs saisons. « Le balisage se fait bien en avance», indique Sylvain Valiquette « L’objectif est d’avoir la meilleure vision possible du terrain, juger l’écoulement des ruisseaux... J’attends aussi de voir comment le sentier réagit avec l’hiver et la neige. Au final, tu ne bats jamais contre la nature. Tu ne fais que t’y adapter. »


L’aménagement de sentiers au parc national du Mont-Mégantic

La dernière étape, c’est la réalisation et l’aménagement sur le terrain. Le fameux coup de pelle, avec le ballet des terrassiers (de vrais forçats !) aidés par les outils mécaniques. « Entre la planification et l'aménagement, on compte de 1 à 3 ans » estime Jérôme Pelland. « Cela varie beaucoup selon les difficultés topographiques. Il n’y a évidemment pas de recette magique, mais c’est ce qui fait tout l’intérêt et la beauté de cette activité ».

Véritable architecte de la nature, le créateur de sentiers s’adapte à de nombreux défis. Un tracé fait en effet face à plusieurs « ennemis » naturels : « Un mauvais drainage crée un problème d’érosion », explique Camille-Antoine Ouimet. « Si l’eau coule trop vite, cela peut détériorer rapidement la surface. Si l’eau s’accumule, le sentier devient un étang avec de la bouette ». Mais la nature n’est pas la seule cause de détérioration. L’Homme a aussi sa responsabilité. « La fréquentation est un autre enjeu. S’il n’y en a pas assez, la nature va se refermer. S’il y en a trop, le sentier peut être endommagé. La gestion de sa capacité de support est primordiale. »

On ne s’improvise donc pas créateur de sentiers. C’est un métier qui nécessite des compétences précises et multiples, aussi bien artistiques que techniques, pour répondre aux défis du terrain. Pour Camille-Antoine, « nous sommes à la fois des chirurgiens et des architectes. On s’assure que pour chaque kilomètre, le tracé maximise la mise en valeur du milieu naturel et des paysages pour arriver à faire vivre une expérience à l’utilisateur. Mais il ne faut pas négliger la partie technique en prévoyant les aménagements qui seront les plus durables possibles et qui s’harmoniseront avec l’environnement ». Un bon designer, « c’est un amateur de plein air, un amoureux de la forêt », énonce Jérôme Pelland. « Quelqu’un capable, en posant un regard attentif sur son environnement, de prendre la mesure des lieux. Au fur et à mesure, on comprend ce qu’est la nature, on développe une familiarité avec elle ».

La création et l’aménagement ne sont toutefois que le début de l’histoire. La nature n’est pas immuable. Sans un entretien constant, le sentier peut rapidement disparaitre, avalé par la végétation. « C’est un élément incontournable, trop souvent sous-estimé » rappelle Camille-Antoine Ouimet. « L’entretien, c’est des heures et des heures de travail. Pas seulement couper les arbres tombés ou débroussailler. C’est aussi enlever les feuilles qui viennent boucher les canaux de drainage. Sur des dizaines de kilomètres, c’est du boulot ! » Si le créateur de sentier est un architecte et un chirurgien de la nature, il est aussi coiffeur et plombier !

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