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  • Crédit: Martin Roy, UW Distribution

Chasse aquatique en apnée

À la recherche de défis, des sportifs se tournent vers la chasse sous-marine en apnée et font de l’or bleu québécois leur nouveau terrain de jeu. Immersion au cœur d’un sport qui gagne à être découvert.

Enserré dans un habit de néoprène et armé d’un fusil-harpon, je m’éloigne de la berge. Quelques minutes auparavant, pour relaxer ma cage thoracique et garder mon souffle plus longtemps, j’ai pris de grandes inspirations, une technique de yoga. En cette après-midi de juillet, les vacanciers installés au bord de l’eau ont dû me prendre pour un extraterrestre!

Je glisse doucement dans l’eau. Sous la surface, tout est calme. J’observe les roches recouvertes d’algues. Nous ne sommes pas dans les Caraïbes, mais à Deschambault, près de Québec. Puis, lentement, les premiers poissons apparaissent du fond du lac Vert, en fait, c’est une carrière désaffectée.

En balayant mon horizon aquatique restreint, je discerne une roche. Je plonge à près de sept mètres pour aller m’y dissimuler. Après quelques secondes, une perchaude apparaît. Je vise tranquillement. Une fraction de seconde plus tard, tandis que ma flèche transperce le poisson, l’adrénaline m’envahit.

Quand on chasse, la relation proie/prédateur déclenche une sensation particulière qui nous ramène à nos origines. « C’est passionnant de traquer une proie pour la manger », résume Yoann Gagnon, qui chasse sous l’eau depuis 2006.

C'est cette sensation intense qui a convaincu plusieurs plongeurs comme Robin Masson, d’abandonner les bonbonnes de plongée pour se concentrer sur la chasse au harpon en apnée. « J’aime passer du temps dans l’environnement du poisson. C’est un beau défi de retenir son souffle pour aller le chasser. C’est une pêche active, beaucoup plus sportive que la pêche à la ligne », soutient le pompier de 35 ans.

« C’est dur de décrocher », renchérit Mathieu Jutras-Gingras un résidant de Salaberry-de-Valleyfield qui, depuis qu’il a découvert la chasse sous-marine en 2007, est devenue un vrai fanatique; tellement qu’il traque les poissons presque chaque jour de l’été.

Pratiquement inconnu il y a quelques années, le sport  gagne en popularité. D’après Mathieu, il y aurait près de 1 000 chasseurs sous-marins au Québec. Et les demandes de formation ne cessent d’augmenter, note Maxim Iskander, instructeur de chasse sous-marine et gérant de la Scubathèque à Québec. « Nous avons vendu près de 50 harpons l’an dernier, alors qu’on en vendait un ou deux par année il y a trois ans », ajoute celui-ci .

Crédit : Guillaume Roy

La quête des bons spots!

Évidemment, les nouveaux prédateurs sous-marins sont en quête de lacs limpides, poissonneux, avec une profondeur accessible. La plupart des chasseurs aguerris préfèrent garder leurs bons spots secrets. « Il faut explorer les cours d’eau de A à Z. Ça fait partie du trip de la chasse. Même au centre-ville, il peut y avoir des spots incroyables », soutient Mathieu Jutras-Gingras, qui a fait de bonnes pêches près de Longueuil, avec l’aide d’une embarcation, d’un sonar et d’un radar.

C’est à proximité du Saint-Laurent que l’on retrouve les meilleures zones de chasse. « Tous les cours d’eau se jettent dans le fleuve. C’est donc à cet endroit que l’on retrouve les plus gros poissons et la plus grande diversité », explique Yoann Gagnon, un chasseur sous-marin de Rouyn-Noranda qui s’ennuie des bonnes chasses dans la région de Montréal.

Avec plus de 130 000 cours d’eau et 4 500 rivières dans la province, il reste un énorme travail de prospection à faire. Et comme chaque poisson a ses préférences, il est de mise de faire des recherches préalables pour savoir ou chasser et ainsi maximiser ses chances de réussite. Par exemple, l’achigan est une très bonne cible pour les débutants, car c’est un prédateur curieux qui n’a pas peur des chasseurs. Pour capturer un doré par contre, il faudra plus d’expérience au chasseur qui devra visiter des zones froides et obscures à plus de dix mètres de profondeur.

En plus de découvrir les habitats lacustres du Québec, l’exploration peut mener à des rencontres magnifiques comme de placides esturgeons ou d’énormes maskinongés, mais il est interdit de les capturer. « Disons que ça surprend de voir un esturgeon de six pieds nager à côté de toi », commente Mathieu Jutras-Gingras. Mis à part ces deux espèces, il est aussi interdit de chasser le saumon de l’Atlantique, la ouananiche et le touladi. De plus, la chasse sous-marine est proscrite à certains endroits, tandis que la réglementation et les quotas de la pêche à la ligne s’appliquent pour la pêche au harpon dans la plupart des rivières. 


Règles de sécurité à respecter lors d’une chasse sous-marine

Crédit : Guillaume Roy

La chasse sous-marine est un sport dangereux. Sous l’eau, un simple incident peut coûter la vie, martèle Mathieu Jutras-Gingras. Voici les conseils de sécurité à suivre :
1. Toujours informer votre entourage de l’endroit où vous chassez;
2. Ne jamais chasser seul, toujours avoir un binôme (partenaire compétent);
3. Ne jamais pointer votre arme vers quelqu'un ou vous-même
;
4. Être responsable et respecter les règlements en vigueur.


Il existe néanmoins une aberration pour les adeptes du sport. Contrairement à la plupart des pays, la réglementation québécoise permet de chasser sous l’eau avec des bouteilles d’air comprimé. « C’est comme aller à la chasse aux vaches avec un fusil calibre 12. Ça vient ternir l’image du sport », s’insurge Mathieu Jutras-Gingras, qui a lancé une page Facebook pour mettre en valeur le sport et mobiliser les adeptes.

Martin Arvisais, biologiste au ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs convient que Québec a porté très peu d’attention à la pêche au harpon, car la pratique demeure marginale. « La réglementation date d’une autre époque », a-t-il admis.

René Potvin, qui pêche en mer un peu partout sur la planète, comprend mal pourquoi la chasse au harpon n’est pas permise en mer au Canada. En fait, le harpon n’apparaît pas dans la liste des engins de pêche permis par Pêches et Océans Canada. « C’est dommage, car on pourrait facilement capturer des records du monde de certaines espèces de thon », lance le passionné, qui a fait de la chasse sous-marine sa vocation.

Crédit : René Potvin

Caroline Hilt, directrice des communications de Pêches et Océan Canada, convient que la pêche sportive peut devenir très lucrative pour les communautés côtières.
« Lorsqu’il y aura une forte demande, on regardera comment on pourra encadrer la pratique, dit-elle. On ne l’exclut pas. »

Pour faire bouger les choses, la force du nombre sera de mise. Selon Maxim Iskander, qui a chassé un peu partout dans le monde, le sport n’a pas fini de faire des adeptes. « Au Québec, les gens adorent la pêche et la chasse. C'est dans le Québécois. Et la chasse sous-marine offre le meilleur des deux mondes. » 


Des Québécois qui s’illustrent à l’international
Crédit : © courtoisie Valentine Thomas

Même si le Québec n’a pas un long historique de chasse sous-marine, des athlètes québécois se démarquent sur la scène internationale. C’est le cas de Valentine Thomas qui a réussi à percer comme l’une des meilleures chasseuses sous-marines de la planète après quatre ans de pratique! « Quand tu recherches un poisson, tu es vraiment connecté à tes instincts de chasseur. C’est extraordinaire de sentir des instincts primaires aussi fort », résume-t-elle. Aujourd’hui commanditée par quatre grandes entreprises, dont Oakley, elle est rapidement devenue une passionnée après avoir réalisé ses premières expériences dans les plus beaux spots de chasse sur la planète. Elle a même décroché un record du monde pour la capture de la plus grosse carangue aux gros-yeux.

Pour lui faire connaître la chasse au Québec, Mathieu Jutras-Gingras et ses amis lui ont organisé une pêche mémorable dans le Saint-Laurent, à la hauteur de Beauharnois en 2013. « C’était vraiment excitant. On se laissait dériver dans le courant avec les poissons, et dès qu’on en voyait un, on devait tirer avant qu’il ne disparaisse. J’ai vraiment adoré mon expérience », explique-t-elle, impressionnée par la chaleur de l’eau. Pendant la partie de pêche qui a duré quatre heures, elle a fièrement ramené deux achigans, un doré et un brochet à la maison en plus de croiser un esturgeon!

« Le sport a le potentiel d’attirer beaucoup plus de femmes, surtout au Québec, car elles n’ont pas peur de se mettre les mains dans un poisson », estime la jeune femme de 27 ans qui rêve d’avoir un jour sa propre émission de télévision sur la chasse sous-marine.

Le pionnier

René Potvin est un autre chasseur québécois d’envergure internationale. Il a commencé à chasser sous l’eau en 1986, alors que le sport était inexistant au Québec. C’est en fouillant dans les magazines et en rencontrant des chasseurs expérimentés lors de compétitions internationales qu’il a défriché les limites du sport. En plus d’avoir remporté trois championnats de l’Atlantique Nord, il écrit dans de multiples magazines spécialisés. Il a aussi lancé sa propre gamme d’arbalètes fabriquées à la main, et a participé à deux épisodes d’Animal Planet sur la chasse sous-marine, dont un épisode de chasse sous la glace au Québec!

L’expert chasseur, qui s’entraine en jouant au hockey sous-marin l’hiver, croit que l’éthique doit être au centre du sport, pour s’assurer une pêche soutenable et respectable. « On a un contact direct avec la nature et on cherche constamment à comprendre le comportement des poissons, leur environnement », explique René Potvin. Fondamentalement, les chasseurs sous-marins veulent promouvoir la santé des populations de poisson. « On n’est pas hypocrite. On tue ce qu’on mange, mais on choisit notre poisson. Les bons chasseurs tirent uniquement ce qu’ils vont manger », ajoute ce dernier.

Apnée Express

Crédit : Guillaume Roy

L’équipement : Palme, masque, tuba, fusil-harpon, habit de néoprène, ceinture de plomb, couteau (pour achever le poisson ou se dégager d’un obstacle), bouée ou drapeau de plongée.
Les formations : Pour éviter les blessures et les accidents graves, il faut d’abord bien maîtriser la plongée en apnée. Vous pouvez suivre une formation offerte par le Centre d’apnée sportive de Montréal (CASM) ou de Québec (CASQ).
Les principaux poissons : Achigan, doré, brochet, perchaude, meunier, truite.Les liens intéressants
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