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  • Crédit: Donatas Dabravolskas, Shutterstock

Skier au Maroc

Ah, le Maroc… pays des tajines et des clémentines. Mais aussi pays de sport et de plein air : de la randonnée à dos de dromadaire dans le Sahara, au surf sur l’Atlantique à Essaouira, en passant par le golf dans les palmiers de Marrakech… et en repassant par le ski. Ski? Oui, oui… le ski. Avec de la neige, des virages, pis « toute »! Et autant dans la version alpine que d’arrière-pays.

Évidemment, vous ne trouverez pas de neige dans le désert ou sur le littoral. La neige, vous la trouverez dans les hauteurs des monts Atlas, qui traversent le pays du nord-est au sud-ouest.

Destination, le parc du mont Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord, accessible depuis Imlil, un village situé non loin de Marrakech, pour du ski d’arrière-pays. Qui dit arrière-pays dit sans remonte-pente. Du vrai ski comme dans le temps des six clubs. Non seulement vous devrez monter la montagne à « jus de bras et de jambes », mais vous devrez également « trekker » cinq heures, sur un dénivelé de 1 500 mètres, pour atteindre le refuge du plaisir montagnard. Pas des affaires de « moune », pas d’arrivée en voiture au pied de la montagne pour commencer à skier. Non, monsieur! Cinq heures entre Imlil et le Refuge du Toubkal et trois heures entre le refuge et le sommet. Votre descente, vous allez la mériter!

Une quarantaine de minutes après le départ de Marrakech, à rouler entre les champs d’oliviers, nous entamons notre ascension vers les monts Atlas à Tahanaout, ville agrémentée de « banlieues » accrochées aux collines verdoyantes et à la terre rouge ocre. Encore quelques rares palmiers résistant au temps plus frais et à l’altitude bordent la route, alors que pommiers, cerisiers et noyers complètent le tableau végétal.

Guide de départ

Crédit: Sylvain Leclerc

 : région du parc du mont Toubkal

Quand y aller : la saison de ski s’étend généralement de novembre à avril, en fonction des chutes de neige. Le parc est toutefois accessible toute l’année. Le secteur est très populaire l’été pour des randonnées de quelques jours dans le parc. On y organise également un marathon, à même le mont Toubkal, en octobre.

Information : Refuge du Toubkal (refugedutoubkal.com)

Cout :
- Avion : prévoir environ 1 200 $ pour un vol direct Montréal-Casablanca. Royal Air Maroc est la seule compagnie aérienne à offrir la liaison directe entre les deux villes.

- Boisson gazeuse : 0,60 à 0,75 $

- T-shirt souvenir : 5 à 10 $

- Hébergement : 12 à 25 $ pour les options budget dans les grandes villes comme Marrakech, Fès et Casablanca.

- Repas : entre 2 et 8 $ pour les restaurants populaires ou la nourriture de rue.

- Transport : Environ 12 $ entre Casablanca et Marrakech (3 heures), environ 20 $ entre Marrakech et Fès (8 heures)

- Pourquoi y aller : pour vivre une expérience de ski alpin unique en son genre, entrer directement en contact avec les Berbères qui peuplent la région, découvrir l’accueil et l’hospitalité légendaires des Marocains et vivre un voyage gastronomique hors du commun.

Le dromadaire fait également son apparition, marchant en bordure de la chaussée ou s’abreuvant et se nourrissant au ruisseau, agrémentant le visiteur de sa classique motion buccale latérale « Jean Chrétien style ». La montée se poursuit, un épais brouillard entame sa lente marche au creux de la vallée dans laquelle nous nous engouffrons.

Nous atteignons Imlil. Magie – une excellente mule – est fidèle au poste, attendant avec impatience et enthousiasme de transporter nos bottes, skis, bâtons et autres bagages pour la montée. Amateurs de remontées mécaniques à la fine pointe de la technologie, sachez que cette mule est la seule chose qui s’apparente le plus à un débrayable que vous verrez dans la région de Toubkal. Pour de vraies remontées mécaniques et de l’alpin classique au Maroc, il vous faudra aller à Oukaïmeden (près de Marrakech) ou Michlifen-Ifrane (près de Fès).

Le temps de charger la mule et de boire deux verres d’excellent whisky berbère offert par le guide, l’épais brouillard a disparu. Nous aurons droit à un ciel bleu immaculé jusqu’au refuge. La montée débute en traversant quelques villages berbères faisant partie de la commune de Imlil. Le paysage rocheux est parsemé çà et là de genévriers, qui font le délice des chèvres.

Après le festin des chèvres, place à celui du voyageur dans un hameau de 12 maisons, dont deux « shacks à patates frites » version maroco-berbère au milieu d’une vallée de roches à 2 500 m d’altitude. Le trio « œufs frits, salade tomate-oignon et sardines en boite » est beaucoup plus nourrissant que le combo « double-cheese-bacon-poutine » du shack de Raoul sur la 117, passé Mont-Laurier. Vous trouvez ça un peu fade? Demandez une pincée de cumin. Et puisque les Marocains mettent du cumin partout (élément essentiel pour devenir mon pays préféré), on vous en donnera trois livres pour épicer votre trio royal.

Malgré l’altitude, les oranges sont omniprésentes ici. Tous les « commerces » possèdent un presse-jus. Agrumes fraîchement pressés, nectar rapidement avalé. On lance les retailles derrière le restaurant : le site de compostage se met vite en branle, alors que quatre chèvres s’attaquent au zeste orangé. « Hé, toi, journaliste québécois! m’interpelle le cuisinier du restaurant. Vois comment nous revalorisons nos déchets de table. Nous aimerions vraiment recevoir une plaque d’Équiterre pour nous féliciter pour nos efforts. Pourrais-tu dire à Laure Waridel qu’elle vienne nous voir? » Cuisinier hors pair et cultivé par-dessus le marché. Je passe le mot sans faute!

La montée se poursuit. Nous approchons de la neige. L’environnement est de plus en plus magnifique et sauvage. Conséquemment, plus de blanc égale moins de vert. Les genévriers ont disparu. Deux éléments verts sont toujours dans le champ de vision : des boules de lichen et des « boules de mule » fraîchement digérées.

Une trentaine de minutes plus tard, après avoir passé le cap des 3 000 mètres, nous atteignons la neige. La marche dans le sentier est maintenant plus mouillée et difficile. La mule ne s’aventurera pas plus loin. Nous reprenons l’équipement. À demain, donc, madame la mule! Nous apercevons le Refuge du Toubkal au loin, au pied des pentes, au milieu de nulle part.

À cause du décor enneigé et rocheux, et surtout parce que mon imagination travaille beaucoup trop, plus je m’approche du Refuge du Toubkal, plus il me fait penser à un heureux mélange entre le Gouffre de Helm et la forteresse dans la neige dans le 34e degré de rêve du film Inception, parce que ça me semble l’endroit idéal pour faire des scènes de poursuite en ski à cause de l’immensité du terrain de jeu et que j’aurais bien vu Gandalf arriver de l’est, à cheval, avec ses amis, et descendre le dernier col du mont Toubkal avec le soleil dans le dos le matin!

Mais puisque nous ne sommes pas des ogres venus détruire le refuge ou des fous venus implanter des idées dans les rêves des gens, le personnel du refuge nous accueille à bras ouverts. À peine le temps d’entrer que nous avons déjà un verre de whisky berbère à la main pour nous réchauffer. Et un deuxième, et un troisième…

Nous sommes en fin d’après-midi et les aventuriers, qu’ils aient skié ou fait de la randonnée à crampons, sont rentrés au refuge, où il règne une ambiance des plus chaleureuses. Je suis agréablement surpris par les installations. On y retrouve cinq larges dortoirs, pouvant héberger 120 personnes, une grande salle de repos et deux salles à manger, de type cafétéria. Quatre des cinq dortoirs sont à l’étage. Pour l’hygiène corporelle, tout se passe au sous-sol. J’entends votre question avant même que vous ne la posiez : oui,il y a de l’eau chaude dans les douches. Et cette douche au Refuge du Toubkal sera légendaire!

Crédit: Sylvain LeclercAprès avoir avalé le festin du soir en 48 secondes et « culs-secqué » deux autres verres de whisky berbère (en passant, juste pour s’assurer que tout le monde comprenne, whisky fait ici référence au thé à la menthe, le Maroc ne faisant pas trop dans la production de whisky…), destination lit à l’étage. Il est seulement 20 h, mais je suis claqué et apparemment, je ne suis pas le seul à avoir sa journée dans le corps puisque le dortoir est plein à craquer dès20 h 30. Les premiers ronflements se font entendre sur le coup de 21 h. Et c’est vraiment dans un dortoir de plus de 30 lits, tous collés les uns sur les autres, que l’on voit la solidarité thermique de l’humain à son meilleur. Quelle fiesta d’échange de chaleur! À preuve : à trois heures du matin en revenant des toilettes par un froid, humide et venteux corridor, je suis accueilli par une incroyable bouffée de chaleur en ouvrant la porte du dortoir. Un peu plus et mes lunettes s’embuaient comme lorsqu’on entre dans une station de métro par une journée de -25 degrés en février.

Fort de toute cette chaleur, je me sens fin prêt, malgré le lever hâtif, à vaincre la barre des 4 000 mètres à ski. En raison de son emplacement stratégique, le Refuge du Toubkal permet cinq ascensions : Toubkal (4167 m), Ras N'ouankrim-Timzguida (4 089 m), Akioud (4 045 m), Akrichton (3 980 m) et Amghras n'bouymghazen (3 940 m), idéal pour les nombreux sportifs passant plusieurs jours sur le site. Nous décidons d’opter pour Akioud, versant sur lequel le soleil frappera en premier et, conséquemment, plus longtemps, question de bénéficier d’une neige plus molle.

Une fois les fameuses mitaines rouges Canada 2010 enfilées (question de bien marquer mon identité dans cette mer d’Allemands), les verres fumés fixés, les bottes attachées, et les peaux de phoques installées, nous commençons l’attaque derrière un large groupe (d’Allemands!), qui se lance à l’assaut du Ras à crampons.

Après avoir suivi le groupe pendant une trentaine de minutes, nous bifurquons vers la droite pour emprunter un premier col à l’intérieur duquel la lumière du soleil n’a pas encore fait son apparition. Le col est étroit, les parois rocheuses sont hautes, le terrain est très pentu et glacé. L’effort doit être soutenu pour ne pas reculer et perdre le terrain grimpé; party d’acide lactique dans les bras et les jambes garanti!

Cet étroit corridor – sombre, menaçant et digne d’un film hollywoodien où deux inconnus deviennent des héros nationaux après avoir secouru 15 scouts ensevelis sous 22 pieds de neige à la suite d’une avalanche – est également l’endroit idéal pour se faire détruire le visage par le vent. Et détruit, il le fut! De vigoureuses bourrasques venant du haut de la montagne s’engouffrent dans l’étroit couloir et déchaînent toutes leurs forces contre nos frêles corps de 65 kilos, prenant bien soin au passage de faire lever la fine couche de neige glacée qui perle au sol pour nous la fouetter violemment au visage.

Nous parvenons à sortir du col et à atteindre le soleil. Le terrain n’est pas moins pentu, mais je me dis que le bout le plus ardu est passé… ce que je peux être naïf parfois! J’aurais dû me fier à mon incident de tube de crème solaire pour visualiser ce qui allait m’attendre par la suite. Ayant été fouetté par la neige, atteint par la lumière du soleil et vu 53 « racoons » au refuge la veille, je me suis dit qu’il serait intelligent d’appliquer une généreuse couche de crème solaire de cote 60 pour ne pas avoir l’air du homard des glaces à mon retour. J’avais malheureusement oublié qu’un tube de crème solaire risquait de réagir d’une quelconque manière à une ouverture de bouchon à 3 600 m. En effet, j’ai eu droit à une spectaculaire éruption de crème blanche digne du Eyjafjallajökull. Bravo pour l’erreur numéro un! Et bravo pour l’erreur numéro deux, soit de déposer le tube au sol pour me « débeurrer » les mains. Qu’est-ce que fait un tube de plastique sur une pente glacée de 18 degrés d’inclinaison? Vous avez tout compris. Je finirai peut-être par retrouver le pot, et la crème gelée à l’intérieur, plus tard lors de la descente.

Crédit: Sylvain LeclercDonc, avec un kilo de crème sur le visage, j’attaque les trois derniers murs avant d’atteindre le sommet. Mais manifestement, Dame Nature n’avait pas trop envie de nous voir explorer ce bout de montagne-là ce matin. Dans le col, nous avions le vent uniquement au visage et les parois nous offraient une quelconque protection. Maintenant, plus aucune protection dans cet immense bol et des vents provenant, en alternance et dans le désordre, des quatre points cardinaux. Ils soufflent tellement fort qu’ils me font perdre l’équilibre à quelques reprises. Au plus fort des bourrasques, impossible de grimper, alors qu’il n’y a d’autre choix que de se recroqueviller pour se protéger. Heureusement que j’ai regardé la Marche de l’Empereur à quelques reprises pour savoir comment bien me protéger du vent comme les pros.

Je demande au guide s’il vente toujours aussi fort sur ce versant. Son « non » est très révélateur. Il fallait évidemment que je tombe sur l’une des journées les plus venteuses de l’hiver. Le terrain est escarpé, l’effort est de plus en plus difficile. Nous atteignons le dernier plat avant le sommet. Je regarde le mur qui s’élève devant moi. Avec le vent, le guide suggère d’enlever nos skis. Nous marcherons sous des vents encore plus violents… sans crampons, question d’ajouter au degré de difficulté et de bien mériter le sommet. Après un ultime effort, à nous, la crête! Enfin!

À cause du vent et de la glace, j’avais oublié que nous nous trouvions dans un tableau incroyable. Des neiges et des glaces ayant conquis ces monstres de roches sous un ciel immaculé. D’un côté s’ouvre une mer infinie de neiges et de bas nuages accrochés au sommet de l’Anti-Atlas. De l’autre, pointant derrière nous à l’opposé de la vallée, le majestueux Toubkal, plus haut sommet d’Afrique du Nord et deuxième plus haut d’Afrique (après le Kilimandjaro) à 4 167 m d’altitude.

Le vent nous rappelle à l’ordre assez vite. Ce n’est pas le moment de rester ici des heures à contempler cette nature vierge. C’est maintenant le temps de skier. Après tout, nous l’avons bien mérité après une ascension de près de 2 300 mètres. Malheureusement, le vent incessant a empêché le soleil d’amollir la neige. Cette dernière sera dure et difficile tout au long de la descente sans contrainte, sans piste à suivre, sans autres skieurs, sans gauche ni droite dans cette immensité.

Règle générale, étant adepte de vitesse, mes virages sont nerveux, courts et vifs afin de bien dévorer la neige. Pas cette fois. Mes virages sont larges, paresseux, lents, question d’explorer le terrain le plus large possible. Malgré le vent et la neige, l’émerveillement est absolu; le bonheur, complet; la liberté, totale. Cette première descente surréelle de ski en Afrique, je veux la déguster le plus lentement possible. Elle ne durera pas assez longtemps, mais restera à jamais une descente inoubliable dans un environnement insoupçonné qui gagne à être exploré.

 
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