Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit : Xavier Bonacorsi

Jusqu’où s’hydrater?

Au cours des dernières décennies, le culte de l’hydratation s’est littéralement imposé dans le monde du plein air et du sport. Plusieurs voient même un lien entre son émergence et l’apparition des premières boissons sportives énergétiques (notamment Gatorade, en 1965). Aujourd’hui, ne pas boire lorsqu’on s’adonne à une activité est presque considéré comme une hérésie ! D’ailleurs, les recommandations et « formules magiques » en ce sens abondent : il faut boire X ml d’eau par kg de poids toutes les Y minutes ; il faut s’abreuver comme un chameau avant d’entreprendre un effort ; il faut boire avant d’avoir soif…

Sport : tous les sports
Niveau : d’initié à élite

Quels sont nos besoins réels?

Tim Noakes, un éminent physiologiste de l’exercice, soutient que l’espèce humaine s’est développée dans des conditions environnementales chaudes et sèches, et que, par conséquent, le corps humain est apte à soutenir des efforts de longue durée sans apport liquidien.

Dans une recension des écrits scientifiques sur le sujet1, ce dernier avance que les stratégies du « boire à profusion » afin de maintenir une restauration continuelle des fluides corporels ne tiennent pas compte du fait qu’elles peuvent considérablement diminuer la performance (par un gain de poids durant la compétition, par exemple).

Trop s’hydrater peut aussi déclencher une hyponatrémie (concentration anormalement faible de sodium dans le sang), que même une ingestion d’électrolytes n’arriverait pas à contrecarrer. Dans une étude menée auprès de 488 coureurs du marathon de Boston en 20022, on a ainsi noté que 13 % d’entre eux souffraient d’hyponatrémie à la fin de l’épreuve. Une coureuse de 28 ans en parfaite santé en est même décédée ! On a clairement pu établir un lien entre leur état et une consommation substantielle de fluides (plus de 3 litres) durant le marathon.

D’autres études, menées auprès d’athlètes de haut niveau, indiquent par ailleurs qu’un taux de déshydratation (mesuré à l’aide du pourcentage de perte de poids durant l’effort) allant jusqu’à 2 % dans les sports d’endurance et jusqu’à 4 % dans les sports à efforts intermittents n’affecte pas la performance. Certains résultats laissent également supposer que les triathlètes qui perdent le plus de poids durant la compétition terminent généralement plus vite que ceux qui perdent peu ou pas de poids. Cette stratégie d’hydratation en fonction de la perte de poids durant l’activité ne devrait toutefois être adoptée que par des athlètes d’élite sous supervision.

Crédit : paintings, Shutterstock

Apaiser sa soif en buvant de l’eau

Avant les années 1970, on demandait aux athlètes de s’astreindre à boire le moins possible durant les épreuves et les entraînements. La vapeur s’est progressivement renversée pour qu’on atteigne, 30 ans plus tard, l’autre extrême. On s’est même déjà fait recommander de boire jusqu’à la limite du confort gastro-intestinal.

De nos jours, plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que la recherche d’un juste milieu est de mise et que, de façon générale, on peut très bien se fier à sa soif pour guider la quantité des apports liquidiens durant l’effort. Les études sur des athlètes qui agissent de la sorte n’ont d’ailleurs révélé aucune complication médicale ni contreperformance. Il faut cependant souligner que certaines personnes ressentent très peu ou très tardivement la soif ; celles-ci doivent donc porter une attention toute particulière à leur consommation de liquides.

Quant aux boissons sportives, les électrolytes et le glucose qu’elles contiennent ne seraient vraiment utiles que lors de séances d’exercice de moyenne à haute intensité d’une durée de 60 minutes ou plus, ou qui se déroulent en milieu chaud ou humide. Pour de courtes séances, mieux vaut opter pour de la bonne vieille eau ! On épargnera ainsi quelques dollars tout en évitant d’ingurgiter des calories inutiles et de consommer des bouteilles de plastique à usage unique. Quand Noakes résume sa pensée sur le sujet, il avance, avec une pointe de cynisme, que « si les sportifs évitaient de consommer ces boissons, ils perdraient du poids et courraient plus vite ».

Et le marketing dans tout ça ?

Il n’y a pas que l’apparition des boissons sportives et leur enracinement dans nos mœurs qui coïncident avec l’essor de ce culte du « boire à volonté ». On n’a qu’à penser à la quantité phénoménale de produits qui envahissent nos magasins (et magazines !) d’articles de sport et de plein air : sacs et vestes d’hydratation, comprimés, tablettes et poudre d’électrolyte, bouteilles et gourdes de tout acabit qui se portent à la main, à la taille, en bandoulière, alouette… Dans un monde où la consommation influence fortement nos comportements, il y a lieu de se demander si le produit répond à un réel besoin ou si le besoin est plutôt né du produit en question !

Cela étant dit…

Il ne faudrait surtout pas considérer les propos qui précèdent comme un plaidoyer contre l’hydratation : bien s’hydrater demeure fondamental, que ce soit au repos ou pendant l’effort. Ce survol des opinions et des récentes découvertes scientifiques ne vise qu’à soulever des questions relatives aux stratégies et aux comportements liés à l’hydratation durant l’activité physique... Tout ça dans le but de redonner à nos sens un peu plus de contrôle sur notre corps plutôt que de se fier aveuglément à des recommandations ou à des tendances. Sur ce, à la bonne vôtre !

Référence

1 Hydration in the marathon : using thirst to gauge safe fluid replacement : ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17465636
2 Hyponatremia among runners in the Boston marathon : nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa043901#t=abstract


Commentaires (0)
Participer à la discussion!