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  • Caroline Côté © Vincent Colliard

Caroline Côté, l’ultramarathonienne du pôle Sud

En janvier dernier, l’aventurière québécoise Caroline Côté a décroché un grand rêve et réalisé tout un exploit : atteindre seule et en autonomie le pôle Sud en ski, tout en fracassant un record mondial de vitesse. Retour sur cette éprouvante expédition qui a fait d’elle la femme la plus rapide – et l’une des plus courageuses – d’Antarctique.


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Au début de l’année, de retour d’expédition, Caroline Côté rêvait souvent à la même chose lors de ses premières nuits de repos. « Je me voyais sous la tente, je me réveillais en sursaut et je me dépêchais à me préparer à partir, pressée d’aller jusqu’au bout. Ensuite, je skiais, je skiais et je ne faisais rien d’autre… avant de me réveiller en sursaut dans mon lit, à Longueuil! »

Dans le café montréalais où elle sirote un latté quelques semaines plus tard, Caroline Côté se reconstruit tranquillement tout en reprogrammant son horloge biologique. Son visage est buriné par la fatigue, ses traits sont tirés vers le bas, comme si les forces telluriques de l’Antarctique en avaient aspiré toute l’énergie. « J’ai repris du poids, mais en terminant mon expé, je n’avais plus que la peau sur les os, mon indice de masse corporelle était très faible, j’étais vidée, dit-elle. Mon mental aussi était à zéro, j’avais de la misère à calculer le pourboire sur une facture de restaurant! »


© Caroline Côté et Vincent Colliard

Pensez : 33 jours et des poussières à pousser la machine à fond, 1130 kilomètres rentrés de force dans les jambes à coups de bâtons de ski, 9 heures par jour à ne s’arrêter que quelques minutes à l’occasion pour se gaver de calories brutes, pour ensuite dormir sous une tente exposée sans relâche à la lumière… On friserait le choc post-traumatique pour moins que ça.

Bien sûr que le froid intense l’a mordue, que le vent cinglant ne fut jamais son allié – sauf une fois, quand il l’a poussée quelques heures dans le dos –, que jamais elle n’est allée aussi loin au bout du monde et d’elle-même. Non seulement Caroline Côté était seule avec sa pulka à braver les éléments, mais elle a parcouru, en la moitié moins de temps, la même distance que lors de l’expédition Polar Shadows au Svalbard (1123 km en 63 jours) en 2021. C’est dire à quel point elle a dû en baver.


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« J’ai juste tout donné, toute mon énergie, toutes mes calories, dit-elle. Les moments, les minutes étaient comptés. » À la fin, le bout de ses doigts était insensible, comme si les terminaisons nerveuses en avaient été bousillées. En fait, tout son corps criait sa douleur d’exister; on aurait dit qu’il se délestait progressivement de la carapace qu’il s’était construite pour se protéger des assauts du froid. « J’avais l’impression qu’un camion m’était rentré dedans », dit-elle.

Somme toute, l’expédition s’est tout de même déroulée sans anicroche sur ce territoire aux humeurs imprévisibles : plusieurs jours de mauvais temps extrême auraient pu l’empêcher de mener à terme son projet; or, la météo ne s’est vraiment gâtée qu’une seule journée. En outre, l’ultramarathonienne des glaces n’a souffert d’aucune engelure ou blessure – à peine un petit orteil irrité par la friction. Et si les sastrugis, ces lamelles de neige durcie, l’ont souvent embêtée, aucun pépin majeur n’est venu freiner sa course, mis à part un panneau solaire qui a pris l’humidité et une fixation de ski qui a lâché, mais qu’elle a pu elle-même recoller.

La dernière étape

Arrivée le 11 janvier au pôle Sud, Caroline a bien essayé de terminer la veille en bouclant 50 km de ski. « En fin de journée, il ne me restait plus que 14 km, mais j’ai dû arrêter : je n’en pouvais plus. » Signe qu’elle était vraiment au bout du rouleau, elle a même songé à monter sa tente pour une nuit additionnelle, le jour suivant, tellement elle était exténuée. Il faut dire qu’à 2800 m d’altitude, la raréfaction de l’oxygène se fait particulièrement lourde, surtout à -30 degrés.


© Courtoisie Caroline Coté

« Je me suis alors ressaisie et j’ai mis les bouchées doubles… jusqu’à ce qu’un épais brouillard se lève et me force à ressortir mon compas. Je n’allais tout de même pas dévier de ma route à deux heures de mon objectif… J’en retiens surtout que j’aurai vécu de l’incertitude jusqu’à la toute fin. »

En arrivant à la sphère chromée qui marque l’emplacement du pôle Sud, Caroline se rappelle s’être mise à genoux, comme une ultime révérence, une déférence devant la toute-puissance qu’incarne cet objectif exigeant. « Je me sentais apaisée et je pensais que j’allais pleurer et vivre plein d’émotions, mais non; c’est venu plus tard, une fois au chaud à l’intérieur. »

Sur place, son époux, Vincent Colliard, l’attendait, tout comme l’aventurière britannique Hannah McKeand, première détentrice du record qu’elle venait de fracasser après 33 jours, 2 heures et 53 minutes de détermination et d’endurance. C’était 5 jours plus tôt que la précédente détentrice en titre, la Suédoise Johanna Davidsson.


Caroline Côté et son époux, Vincent Colliard © Vincent Colliard

En plus de devenir aussi la première Québécoise à accomplir cet exploit, Caroline entrait du coup dans le club restreint des femmes qui ont rejoint le pôle Sud en solo – et on n’en compte pas dix. L’exploit est d’autant plus impressionnant que Caroline n’apprécie pas spécialement le froid et les espaces polaires; en revanche, on la sait attirée par les défis et les extrêmes, comme l’aiguille d’une boussole l’est par les pôles.

Jour après jour

Chaque matin de l’expédition, pendant plus d’un mois, c’est le même rituel qui attend Caroline. Dès son réveil, elle allume son réchaud, fait fondre de la neige et remplit ses gourdes, puis elle dévore son gruau – avec des carrés de beurre à la fin de l’expé, pour plus de calories – avant de consulter le rapport météo de Lars Ebbesen, l’expert qui suit sa progression depuis la station d’Atlantic Logistic Expeditions (ALE), à Union Glacier.

« Un jour, Lars m’a suggéré d’attendre, car le temps s’annonçait exécrable; je suis demeurée sous la tente et je n’ai commencé à skier qu’à 15 h; malgré tout, j’ai parcouru 25 km. » S’il y a bien un avantage à évoluer durant l’été austral antarctique, c’est bien celui-là : on peut se déplacer à toute heure du jour ou de la nuit, il fait toujours clair.

Puis, après avoir démonté sa tente et remballé son équipement dans sa pulka, Caroline entame sa journée. Une fois partie, elle ne s’arrête pas – ou presque – et avale jusqu’à 35 km de vide immaculé; à peine marque-t-elle une pause de quelques minutes pour s’empiffrer de chocolat, un carburant pur et dur. « Je ne m’arrêtais jamais pour mes petits besoins : il fait tellement froid que ton corps s’habitue à ne pas vouloir se soulager. »


© Courtoisie Caroline Côté

Le soir, contrairement à l’usage au Svalbard, où il fallait brosser la moindre parcelle d’équipement pour en chasser le frimas, Caroline n’a qu’à suspendre sa tuque et ses mitaines pour les faire sécher. « Le soleil est tellement fort que, sous la tente, l’humidité s’évacue très vite. »

Enfin, après un repas chaud, elle se glisse dans son sac de couchage pour lire les messages reçus pendant la journée, son grand plaisir quotidien et… sa principale source de réconfort. Une véritable bûche d’énergie morale dans l’âtre de son enthousiasme en fait : quand l’objectif à atteindre est impossible à définir clairement, à 1000 km au bout du grand néant blanc, la motivation ne coule pas toujours de source.

Étape par étape

« Au début, je m’étais fixé comme objectif de rattraper Wendy Searle, une aventurière britannique partie une semaine plus tôt que moi et qui tentait de battre le même record. Sa présence m’apparaissant plus tangible, je voyais parfois ses traces et ses campements. Ça me stimulait de savoir qu’elle était plus proche que le pôle Sud et que je pouvais aller la chercher. »

Puis, après une semaine de mauvais temps dans « les pires conditions météo de ces dix dernières années », la concurrente a abandonné. « J’avoue que je me suis alors sentie soulagée : c’est une bonne aventurière, elle aurait pu y arriver. À mon arrivée au pôle Sud, elle était d’ailleurs présente; nous nous sommes enlacées, je sentais de la gentillesse, de l’honnêteté chez elle. Et surtout le partage d’une fierté commune, celle d’être femme. »

Tellement fière, l’aventurière québécoise, que sitôt son exploit réalisé, elle s’est empressée de déclarer publiquement qu’elle aiderait quiconque voudrait battre son record fraîchement battu. Après tout, n’a-t-elle pas pris part à cette aventure pour briser les stéréotypes envers les « faibles femmes », entre autres choses? Mais il y a plus.


© Courtoisie Caroline Côté

« Au troisième jour de l’expé, je commençais déjà à éprouver de la difficulté à maintenir mon niveau de motivation », dit-elle. En clair, l’ego et la fierté d’avoir réussi à se rendre là ne suffisaient plus. C’est alors que les doses d’amitié, d’amour et d’encouragement envoyées par texto sont venues fouetter son enthousiasme et lui donner l’impulsion qui lui manquait.

« Je voulais te remercier de m’avoir emmené là-bas sur ton glacier, a ainsi écrit l’humoriste-voyageur-ultramarathonien Bruno Blanchet. Je me sens plus reconnaissant envers toi qu’à l’endroit de tout ce que la vie m’apporte : les amis, l’entraînement, les courses, la plongée, la bouffe… Tu m’inspires, MERCI! Go, go, Caro! »

« Recevoir des petits mots de ce genre m’a aidée à un point tel que c’est devenu par moments la seule raison pour laquelle je continuais, dit Caroline Côté. Et c’est à partir de ça que j’ai développé le goût d’être là pour les autres, à l’intérieur de moi. » À plusieurs reprises, ce cercle vertueux lui a permis de tenir le coup dans les moments durs. Y compris au pire d’entre eux. « Paradoxalement, c’est l’abandon de Wendy Searle que j’ai trouvé le plus dur à vivre : mon prochain objectif à atteindre se retrouvait de nouveau très loin, à 15 jours de ski; il n’y avait plus de demi-étape. » La montagne à gravir redevenait plus imposante que jamais.

Du reste, ses audiolivres et la musique l’ont beaucoup aidée, des histoires apaisantes et chansonnettes qui la téléportaient au Québec l’espace d’une ritournelle. « J’ai écouté au moins 15 fois Sailing Around the World Alone, de Joshua Slocum : moi aussi, je me sentais seule sur un vaste océan! » dit-elle. Mais les airs de Gilles Vigneault l’ont également ramenée à la maison en lui rappelant des souvenirs d’enfance. « Ça m’aidait à me reconnecter, à me rappeler qu’il y avait autre chose que la douleur. » Ou la peur.

Peurs et défis

Comme elle l’appréhendait, c’est le vent qui a le plus intimidé Caroline, en Antarctique. Déjà, au Svalbard, même l’omniprésence des ours polaires n’arrivait pas à l’inquiéter autant que les hurlements des rafales. « Quand le vent soufflait trop fort, je mettais des bouchons pour dormir ou j’écoutais de la musique pour démonter ma tente : je craignais qu’une bourrasque arrache tout et ça me mettait une pression additionnelle. Et quand je sentais sa force augmenter, j’essayais d’y voir des avantages, je me disais qu’après son passage, il resterait moins de neige. »

L’autre crainte de Caroline, c’était de revivre un épisode d’attaque de panique, comme ça lui est arrivé au Svalbard. Sauf que cette fois, elle était seule, et elle ne pouvait compter que sur elle-même. « Heureusement, ça ne s’est pas produit; pour éviter que ça arrive, j’ai toujours gardé un maximum de contrôle sur mon environnement et sur mon équipement. »

© Courtoisie Caroline Côté

Il faut dire que la peur et la panique trouvent difficilement leur chemin, quand elles doivent se faufiler sur un terrain constamment surveillé, où le risque et l’absence de préparation n’ont pas leur place. « À la maison, j’oublie d’arroser mes plantes, mais sur le terrain, je connais le moindre petit détail, je sais exactement où est placé chaque petit truc dans ma pulka. Je suis au fait des risques et je suis capable de sentir qu’une tempête s’annonce avant même qu’il y en ait un signe. »

Enfin, la peur de décevoir tous ceux qui croyaient en elle l’a poursuivie tout au long de l’expédition. Pour la mener à bien, Caroline a reçu l’appui financier de plusieurs commanditaires – en plus d’emprunter 50 000 $ –, et rien ne l’aurait plus chagrinée que de devoir baisser les bras. « Quand j’avais envie d’abandonner, je pensais à eux et ça me motivait énormément. » La perspective de recevoir une note salée de 150 000 $ de la part de l’Antarctic Logistics & Expeditions LLC (ALE), si elle avait dû l’évacuer pour un abandon pur et simple, l’incitait également à se ressaisir lors des moments de découragement.

Pour la suite des choses

Maintenant qu’elle a réalisé cet exploit, Caroline verra bien des portes s’ouvrir à elle au cours des prochains mois : conférences, voyages à guider en région polaire ou pas, partenariats commerciaux… Depuis peu, elle est d’ailleurs devenue ambassadrice de Terres d’Aventure Canada.

© Caroline Côté (photo de gauche), © Christopher Michel (photo de droite)

Après un prix Gémeaux remporté l’automne dernier pour Le dernier glacier (coréalisé avec Arnaud Bouquet) ainsi qu’un Prix du public accordé en janvier à son film Njørd, au Festival Objectif Aventure de Paris (coréalisé avec Vincent Colliard et Arnaud Bouquet), Caroline a des fourmis dans les doigts et elle a hâte de renouer avec la caméra. « J’ai plus que jamais envie de réaliser des documentaires, c’est l’équilibre de ma vie. J’ai achevé une expé; maintenant, j’ai envie de créer! » Plus que jamais, elle sent que l’aventure et la réalisation sont les deux ventricules qui animent son cœur.


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Au cours des prochains mois, Caroline veut d’abord écrire sur sa dernière aventure. Mais ensuite, elle songe déjà à de futures expéditions, même si elle s’était juré, en arrivant au pôle Sud, de ne plus jamais s’embarquer dans pareil périple au bout d’elle-même. « Il est encore tôt pour me décider, mais je pense par exemple à une traversée de l’Antarctique d’une côte à l’autre, peut-être même en solo », lâche-t-elle dans l’univers. Manifestement, les globules du défi lui gonflent encore les veines.

« Une chose est sûre, c’est que je repartirai, ça fait partie du bien-être et du bel équilibre que je recherche en amenant ma vie à un niveau plus élevé : évoluer en partie en société et en partie à l’écart, dans la nature. Pour moi, c’est ce qui forme une existence riche et complète. »

Caroline Côté lors de son expédition au Svalbard © Vincent Colliard

Début février, Caroline n’avait toujours pas recommencé à s’entraîner, mais elle s’apprêtait à s’y remettre. « Le bilan final de mon aventure au pôle Sud reste à faire, mais pour le moment, j’ai découvert qu’on oublie rapidement la difficulté et la douleur, dit-elle. Je ne me souviens presque plus que, sur place, je pensais souvent abandonner; maintenant, je suis heureuse et sereine : je sais plus que jamais que, même quand il y a des tempêtes, tout passe et le beau temps finit toujours par revenir. »


Les vêtements qui l’ont suivie au pôle Sud

Pour mener à bien son expédition, Caroline Côté était vêtue de pied en cap d’équipement Helly Hansen. En voici la liste :


 

Originaire de Norvège, Helly Hansen conçoit depuis 140 ans des vêtements de qualité professionnelle qui aident ceux qui les portent à rester et à se sentir vivants.


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