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À quand le marathon en moins de deux heures?

Le marathon en moins de deux heures est-il pour bientôt? Les experts sont divisés sur la question. Certains prétendent que c’est une question d’années alors que d’autres parlent de décennies.

Berlin, le 29 septembre 2013. Après plus de deux heures d’effort soutenu, le coureur kényan Wilson Kipsang Kiprotich vire seul sur l’avenue Unter den Linden (littéralement « sous les tilleuls »). Il voit alors la porte de Brandebourg se profiler à une centaine de mètres devant lui. À ce moment, l’athlète de 32 ans sait qu’il ne lui reste que quelques minutes de souffrance avant de gagner le marathon de Berlin… et la bourse de 500 000 $ qui vient avec.

Le voici qui arrive enfin. Le rictus au visage, Kipsang traverse triomphalement la ligne d’arrivée : il stoppe le chronomètre à 2 h 3 min 23 s. Ce temps lui vaut non seulement la victoire, mais, plus important encore : le record du monde. Cette année, son compatriote Dennis Kimetto a baissé ce temps à 2 h 02 min 57 s.

Comme à chaque fois que le record du monde sur 42,195 km est abaissé, le débat sur l’atteinte du seuil mythique de 2 h est relancé. Chacun y va de ses prédictions quant au devenir du fossé qui sépare l’Homo sapiens de ce record : « Nous verrons un marathon couru en moins de deux heures entre 2022 et 2035 », affirment les uns. « Non, si jamais ce cap est un jour franchi, ce ne sera pas avant 50, 60, voire 70 ans », rétorquent les autres.

En 2028… peut-être

François Péronnet est l’un de ceux qui prédisent que le « sub-2 hours marathon » sera couru dans les prochaines décennies. Pour appuyer ses dires, le professeur à la retraite du département de kinésiologie de l’Université de Montréal (UdeM) se réfère à un modèle mathématique qu’il a mis au point en 1989. Avec son collègue de l’époque, Guy Thibault, il s’était amusé à extrapoler l’amélioration des performances sur différentes distances de course. Le duo a étudié l’évolution des records mondiaux depuis le début du 20e siècle en prenant soin de modéliser les qualités physiques du « coureur parfait » de chaque saison. « Une approche unique », se rappelle-t-il, 25 ans plus tard.

Dès 1989, leur modèle prévoyait l’atteinte d’un temps de 2 h 5 min 23 s au marathon en l’an 2000, une prophétie qui s’est réalisée de près (2 h 5 min 42 s en 1999). En outre, les records prédits sur 5 000 m et sur 10 000 m se sont avérés, en vertu de chronos de 26 min 22 s (1998) et de 12 min 39 s (1998) qui ont été réalisés sur ces distances avant le nouveau millénaire. « Si nous avons réussi à prédire correctement les performances en 2000, cela prouve, en toute honnêteté, que notre modèle n’est pas si mauvais », souligne François Péronnet.

C’est pourquoi le physiologiste de l’exercice pense que le marathon en moins de deux heures pourrait être couru dès 2028, date à partir de laquelle son modèle prédit un temps de 1 h 59 min 36 s « Déjà, le record du monde de 9 s 58 sur 100 m établit par Usain Bolt en 2009 est conséquent avec notre prédiction de 9 s 57 en 2028 », lance-t-il. Tout en admettant que le parallèle tient difficilement la route : « Les qualités physiologiques requises et les occasions pour battre les records sur 100 m sont diamétralement opposées à celles d’un marathon. »

Crédit: Timur Nisametdinov

Des signes avant-coureurs

Lorsqu’il est question de modèles basés sur des projections mathématiques, Richard Chouinard, responsable de la formation pratique au département de kinésiologie de l’Université Laval, les prend toujours avec des pincettes : « Quelqu’un a déjà prédit, en se basant sur la progression des records du monde féminin sur marathon, que les femmes courraient un jour la distance plus vite que les hommes. Or, ces dernières ne s’alignent sur cette épreuve que depuis le début des années 1960. C’est donc tout à fait normal que les records féminins aient progressé plus vite que ceux masculins! », s’exclame celui qui a été un athlète en course de fond de 1971 à 1981.

Selon lui, il est prématuré de parler du marathon en moins de deux heures alors que le cap de 2 h 3 min vient tout juste d’être franchi. S’il est sûr que le record va encore s’abaisser pour atteindre « probablement » 2 h 2 min, il ne s’aventure pas plus loin : « De toute façon, nous allons avoir des signes avant-coureurs de l’arrivée du seuil mythique de deux heures. Les temps sur les distances inférieures vont devoir s’abaisser avant », pense l’entraineur du Club de course à pied de l’Université Laval.

Pourquoi? En se reportant aux tables de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), explique Richard Chouinard, il est possible d’établir des équivalences de temps entre les différentes distances. Cela donne une bonne idée des performances qui devront être accomplies sur les distances inférieures afin de pouvoir commencer à penser à 2 h sur une distance de marathon. Par exemple, selon l’IAAF, des temps de 25 min 40 s sur 10 000 m et de 12 min 21 s sur 5 000 m équivalent à 1 h 59 min 58 s sur marathon. Pour l’instant, le record du monde sur 10 000 m est de 26 min 17 s, tandis qu’il est de 12 min 37 s sur 5 000 m.

Anatomie d’un record du monde

Une des principales barrières qui ralentit la progression du record du monde des marathons est le besoin que de nombreux facteurs s’alignent parfaitement au moment de la course. Car ne fracasse pas un record qui veut, surtout lorsqu’il est question d’une course à pied de 42,195 km!

En plus du parcours qui doit être plat, pas trop venteux et homologué pour l’IAAF, le thermomètre se devra d’osciller entre dix et quinze degrés Celsius. À cela s’ajoute l’obligation qu’un peloton relevé soit présent, que des meneurs d’allure (lièvres) soient engagés et qu’un effort concerté soit mené jusqu’au bout. Bien sûr, les bourses offertes à ceux qui prendront part aux tentatives devront être conséquentes. De la même manière qu’on n’appâte pas les mouches avec du vinaigre, on ne leurre pas les détenteurs de records mondiaux avec des couronnes de laurier!

Plus important encore, celui qui réussira cet exploit devra posséder des qualités physiques hors du commun. Son Vo2 Max (la grosseur de son moteur) frôlera les 90 mlO2/kg/min-1. Son endurance (le taux d’exploitation de son moteur) avoisinera les 87 à 88 %. Son économie de course (la variation de son taux d’exploitation de son moteur) sera très stable. Bref, ce sera un être d’exception. Si l’on se fie aux dernières décennies en course de fond, il y a de fortes chances que ce dernier soit originaire du Kenya ou de l’Éthiopie.

Crédit: Michal Napartowicz

Le pouvoir de l’argent

Jean-François Harvey, ostéopathe, kinésiologue et auteur du livre Courir mieux, est persuadé qu’on y arrivera. Mais si les prophètes de records ne tiennent pas compte des facteurs socioéconomiques dans leurs prédictions du marathon en moins de deux heures, ils passent à côté de la plaque : « Une analyse des choses purement physiologique et biomécanique est très réductrice », pense-t-il. Lors de ses nombreux voyages dans la province de la vallée du Rift, au Kenya, Jean-François Harvey a pu échanger à quelques reprises avec des entraineurs locaux, dont l’Italien Renato Canova. Les conversations qu’il a eues avec eux lui laissent croire que c’est avant tout pour des raisons économiques que les temps s’abaisseront : « Les coureurs est africains planifient leur saison en fonction du potentiel de gains d’argent. Comme les dollars se trouvent aujourd’hui dans les marathons, plusieurs se spécialisent dans cette discipline, et ce, de plus en plus jeune », analyse-t-il. Selon cette logique, la hausse du bassin de bons marathoniens devrait entrainer les records à la baisse.

Mais là ne s’arrête pas le pouvoir de l’argent. Jean-François Harvey soutient que c’est une question de quelques années avant que le dopage se généralise au sein des marathoniens, accélérant davantage la baisse des temps sur la distance : « S’ils ne sont pas reconnus pour se doper [ils n’en ont pas les moyens], ces coureurs sont néanmoins très influençables lorsqu’on leur fait miroiter la possibilité de s’enrichir, fait-il valoir. Il ne manque plus que des agents d’affaires avides pour leur proposer des produits dopants, et le tour est joué ».

À noter que trois coureurs kényans, dont un possède un record personnel de 2 h 5 min sur marathon, ont été contrôlés positifs à diverses substances en février 2013. Preuve du phénomène ou simple hasard? « De l’argent, ils n’en ont pas! insiste Jean-François Harvey. À un tel point que les entraineurs de là-bas ont coutume de dire qu’un coureur qui mange trois fois par jour est dopé ». C’est tout dire.

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