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Mylène Paquette : La peur, alliée de l’aventure

Le coup de foudre que j’ai eu pour mon aventure, le jour où je l’ai découverte, m’a transportée durant des années. Je suis littéralement tombée en amour avec l’idée de parcourir un océan à bout de bras, au lent rythme des coups de rame. Un rythme qui m’a permis de vivre un contact étroit avec la nature, avec l’environnement, avec moi-même.

Au moment précis où j’ai entrevu la possibilité de réaliser une traversée de l’Atlantique à la rame, tout s’est précipité en moi : la joie, l’excitation, le désir de vivre cette aventure intensément… mais aussi la peur.

Malgré mon enthousiasme à préparer cette expédition, quelque chose me rebutait plus que tout. Le simple fait de savoir que je devrais descendre sous l’eau pour nettoyer la coque de mon embarcation m’empêchait de croire que je serais capable de réaliser cette aventure.

À cause de la longueur des expéditions et de la faible vitesse de propulsion, les rameurs qui bravent les océans du monde doivent régulièrement descendre dans l’eau, grattoir à la main, pour déloger les anatifes (petits crustacés) qui s’accumulent sur la coque. Une baignade obligatoire pour continuer à progresser.

Pour moi, partir en mer impliquait donc que je vive quotidiennement avec la possibilité d’affronter ma peur, tôt ou tard. Cette éventualité anxiogène était insoutenable dans mon cas; j’avais peur d’avoir peur.

Car si, pour certains, le fait de ne pas voir les côtes en naviguant, d’être enfermé dans une cabine étroite ou d’être seul pour affronter le mauvais temps est synonyme de crainte et d’angoisse, dans mon cas, j’ai peur de quelque chose de bien moins raisonnable : j’ai peur… de l’eau!

Je n’ai jamais ressenti la peur en étant sur l’eau, à bord d’un bateau ou sur un quai, ni lorsque je plonge la tête sous la surface. En fait, je n’ai pas peur de l’eau elle-même : j’ai plutôt peur de m’y retrouver seule pour devoir y nager.

Mais d’où me vient donc cette phobie?

Chez moi, cette peur est née d’un banal traumatisme que j’ai subi dans mon enfance, et qu’une infinité de gens ont probablement vécu. Son histoire a même commencé quelques années avant ma naissance.

En 1975, le film Jaws a battu des records en salle. À partir de 1981, il a été télédiffusé dans une centaine de pays pour atteindre des cotes d’écoute jamais égalées auparavant, touchant plusieurs millions de téléspectateurs et en traumatisant fort probablement une bonne partie. J’étais du nombre.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai écouté Les dents de la mer plusieurs fois avant l’âge de 5 ans. Dès lors, la peur de l’eau a si bien investi l’enfant en moi que j’étais incapable de prendre un bain!

Au cours de ma longue préparation pour ma traversée, j’ai cru bon de m’exposer à l’eau le plus souvent possible pour contrôler mon angoisse. J’ai suivi des cours de natation et je suis allée nager régulièrement. Même si je gagnais en assurance au fil du temps, je n’avais toujours pas réussi à apprivoiser ma peur.

Beaucoup plus tard, alors que j’étais seule en mer depuis plusieurs semaines, j’ai constaté que les efforts que j’avais faits jusque là avaient été complètement inutiles. J’ai essayé de plonger dans l’eau à maintes reprises, mais à chaque tentative, j’étais pétrifiée, incapable d’aller plus loin.

Puis, j’ai découvert quelque chose de fondamental.

La peur, cette folle alliée!

Avec l’aide de ma psychologue, j’ai compris que je devais changer de point de vue par rapport à la peur en général. J’ai réalisé qu’avoir peur, c’est d’abord positif.

Puisqu’elle nous indique la présence d’un danger et nous fait éviter ce qui pourrait nous faire courir à notre perte, la peur est un système d’alarme à l’efficacité non négligeable, surtout lorsqu’on se retrouve au beau milieu de nulle part. Bien vite, j’ai cependant dû reconnaître que l’angoisse que l’eau faisait naître en moi était une fausse alarme. Et c’était à moi de l’éteindre pour agir et avancer.

Ma psychologue m’a alors proposé des exercices de visualisation afin d’aborder différemment mon contact avec l’eau. Même si j’appréhendais une catastrophe les premières fois où je m’imaginais descendre dans l’eau, j’ai réussi à vivre dans ma tête une plongée qui puisse bien se passer, après quelques essais.

Ces exercices m’ont permis de cesser de nourrir ma peur. Et visualiser ma descente sous l’eau m’a forcée à envisager une autre situation qu’une attaque de requin, comme nous le propose le cinéma depuis des décennies.

De quoi ai-je peur, réellement?

Pour se libérer de nos peurs, il faut apprivoiser ses émotions.

Pour ce faire, il faut d’abord savoir observer ce qui se passe dans notre corps, lorsqu’on ressent la peur. Ce que l’on n’aime pas de certaines émotions, ce n’est pas l’émotion elle-même, mais l’emprise qu’elle a sur nous, sur notre corps.

Pour cesser d’avoir peur, il faut donc laisser la peur nous habiter, et plus on est en contact avec elle, moins elle a d’emprise sur nous — une sorte de vaccin, en quelque sorte. C’est alors là, et seulement là, qu’on peut répondre à la question : « De quoi ai-je peur, réellement? »

« J’ai peur d’être seule dans l’eau parce que, si un requin surgit, j’ai peur d’être vulnérable et démunie. J’ai peur d’avoir besoin des autres et qu’il n’y ait personne pour m’aider. »

Décider d’arrêter d’avoir peur est un leurre

Quand on ressent les sensations que procure la peur, on tente de les contrôler, parce que cette attitude est synonyme de courage et de force.

Malgré nos bonnes intentions, peu importe l’aventure dans laquelle on évolue, nos peurs ont besoin d’être écoutées. Parce que dans nos requins imaginaires se cachent des peurs fondamentales qui ont besoin d’être reconnues.

Les peurs sont universelles, seuls les visages qu’elles prennent ne le sont pas. Peu importe nos origines, notre âge, notre genre et même notre époque, nous ressentons tous la peur fondamentale d’être démuni ou abandonné.

Nous partons tous en quête de voyages extraordinaires pour être en contact avec les grands espaces et vivre les sensations fortes que seule la nature peut provoquer.

Notre désir de découvrir nous propulse vers l’avant, à l’assaut d’un nouveau sommet, de nouveaux paysages, d’une nouvelle montagne, d’une nouvelle vague. Nous désirons tous vivre intensément nos voyages, pour en apprendre sur nous-mêmes, sur la vie.

Mais le vrai voyage ne se réalise pas au milieu de l’océan ou au sommet d’une montagne : le vrai voyage se déroule à l’intérieur de soi, à travers toutes ces sensations et ces perceptions qui font de nous des êtres humains complexes, fascinants, véritables.

Accueillir nos peurs les plus profondes demande de l’humilité et, une fois écoutées, apprivoisées et reconnues réellement, nos peurs se dissipent pour nous offrir le cadeau le plus précieux au monde : la liberté.

La liberté de parcourir le monde et de découvrir la nature qui nous entoure, autant que la nôtre.

Bon voyage!

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