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  • Cap de Bonne Espérance, Afrique du Sud © Julie Labrecque

Pédaler sur le dos du Dragon

Dan Perron et Julie Labrecque sont les premiers Canadiens à avoir complété l’intégralité du Dragon’s Spine, second plus long trajet de bikepacking au monde. Et ce n’est pas de tout repos!

« Merde! J’ai perdu une pédale! »

J’ai regardé Dan en souriant, absolument persuadée qu’il faisait une joke… Nous poussions et tirions notre vélo depuis plus d’une heure, perdus au milieu des épaisses herbes hautes, tentant d’ignorer les possibles rencontres avec un mamba noir, redoutable serpent venimeux.

Lorsque j’ai constaté que Dan disait vrai, j’ai ressenti un miniéclair de panique. Impossible de retrouver quoi que ce soit dans ce vaste terrain marécageux. Nous étions en plein milieu des montagnes Wolkberg, tentant de suivre le sentier inexistant qui nous avait été recommandé par un excentrique fermier local. La civilisation étant à deux jours de vélo, l’affaire se compliquait avec une pédale en moins. Et les problèmes s’accumulaient alors que le piston de notre filtre à eau avait craqué, que notre briquet avait disparu et que nos réserves de bouffe disparaissaient...

Notre aventure a commencé à Kigali, au Rwanda, plus de trois mois plus tôt. Pédalant sur les sentiers des pays de l’Afrique orientale, nous préparions nos cuisses à la pièce de résistance de l’expédition : le Dragon’s Spine.

© Dan Perron

Imaginé et cartographié en 2011 par deux cyclistes sud-africains, ce tracé hors route longe la chaîne de montagnes du Drakensberg (les montagnes du Dragon), de Beitbridge, au Zimbabwe, à Cape Town (Le Cap), en Afrique du Sud. Évitant le bitume et joignant pistes étroites, sentiers de berger, chemins abandonnés, lignes de chemins de fer et pistes rocailleuses, le chemin est divisé en neuf sections distinctes qui retracent l’histoire du pays tout en basculant d’un écosystème à l’autre.

Il y a tout juste quelques années, seule une poignée de téméraires, la plupart assurés par un véhicule motorisé, avaient complété la route. C’est lorsque le site bikepacking.com a publié l’itinéraire que sa popularité s’est accrue. Avec près de 4000 km, le sentier devint la seconde plus longue route continue de vélo de montagne au monde, derrière la Great Continental Divide (au Canada et aux États-Unis, le long des Rocheuses).


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Propulsés par l’énergie de nouilles Ramen crues et abreuvés par l’eau des montagnes que nous espérions dénuée de bactéries, nous en avons bavé jusqu’à ce que la providence mette un centre commercial sur notre route. Les pédales cheap qu’on y a trouvées nous ont permis de nous remettre à avancer enfin. Mais le test d’endurance ne faisait que commencer... C’est l’Afrique du Sud qui a mis au monde les Mike Horn, Hendri Coetzee et Riaan Manser. Si certains des plus grands aventuriers de la planète y ont fait leurs classes, nous devions nous attendre à repousser nos limites.

© Dan Perron

Chaque journée passée sur le Dragon’s Spine réserve son lot de surprises et d’émotions. La tempête tropicale Dineo nous a d’abord accueillis tout au début du chemin, nous clouant au fil de départ pour plusieurs jours. Les torrents de pluie ont peut-être inondé le terrain, mais ils ont aussi joué en notre faveur en rafraîchissant les températures sous les moyennes habituelles de 38 °C. Si les premières centaines de kilomètres furent roulées essentiellement dans le sable profond, les baobabs géants qui jalonnaient le chemin en valaient le coup. Les terres arides du Lowveld ont bientôt fait place aux forêts abondamment exploitées et aux montagnes de plus en plus hautes, avec des dénivelés de plus en plus brutaux.

C’est au Lesotho, minuscule pays monarchique enclavé dans le vaste territoire sud-africain, que les sommets culminent. « J’ai-tu d’mandé à v’nir au monde, moi, t&bar&ak? » Complètement vidée et frigorifiée, j’avançais en pleurant sous les grêlons et sous les encouragements de Dan. En huit heures, nous avions franchi huit kilomètres.


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La journée s’était pourtant bien annoncée. Après une nuit chez le chef Napo, qui nous a offert l’une de ses huttes à la suite d’une gymnastique d’explications de notre expédition, nous avons entamé la grimpe. Les paysages étaient à couper le souffle, tout comme cette montée beaucoup trop abrupte. Sortant de nulle part, des villageois ne parlant pas plus anglais que le chef Napo ont alors proposé d’embarquer nos lourds vélos sur leurs poneys basotho. C’est ainsi que nous avons gravi les 500 premiers mètres verticaux de la matinée et avons remercié nos deux porteurs au sommet du col.

© Julie Labrecque

Nous ignorions toutefois que le sentier qui se dessinait alors devant nous s’évanouissait quelques minutes plus tard pour faire place à un flanc de montagne technique et exposé. Puisque je n’arrivais plus à soulever mon vélo, Dan devait faire des allers-retours pour m’aider à progresser. Les heures passaient, mais le progrès piétinait et des nuages noirs roulaient rapidement vers nous. Lorsque la tempête éclata, le refuge de montagne se trouvait à quelques minutes. Mais le crescendo des difficultés de la journée eut raison de mon mental!

L’épine dorsale du Dragon poursuit son cours dans le grand désert du Karoo, où les vents ne semblent souffler que dans la même direction – de face! – et où les réserves d’eau doivent être minutieusement planifiées. Les montagnes Swartberg marquent non seulement la fin du long désert, mais elles forment aussi l’ultime épreuve de dénivelé avant les dernières centaines de kilomètres menant à la pointe de la péninsule du Cap. En progressant vers l’ouest, la végétation revient tranquillement pour faire place à d’immenses vergers de pommes et de poires, à des vignobles à perte de vue et, enfin, à la grande ville de Cape Town et à l’océan Atlantique.

En sirotant un verre de pinotage à Stellenbosch, nous réfléchissions aux 55 jours de hauts et de bas que nous avons roulés et vécus. Sur les 3800 km, nous avons dû nous buter à au moins une centaine de barrières et de clôtures barbelées. Les propriétaires terriens gardent jalousement leur territoire, et les limites privé-public sont toujours ambiguës. Savoir les franchir sans éveiller la colère d’un fermier frustré (et armé) est rapidement devenu une partie intégrante de notre quotidien.

© Dan Perron

Les épines d’acacias, omniprésentes partout dans le pays, ont souvent transformé nos pneus en passoires. La faune, très différente de chez nous, a souvent freiné nos ardeurs de camping sauvage… En Afrique, le terme « sauvage » prend une dimension très réelle. Il aurait été malheureux de nous faire dévorer par un lion!

Bref, si chaque journée nous a arraché un maximum d’efforts, la fierté d’avoir accompli une aventure de cette envergure, la chance d’avoir pu admirer la splendeur des paysages sud-africains constamment changeants et le bonheur d’avoir partagé cette intensité à deux en ont grandement valu la peine. Du même coup, nous sommes devenus les premiers Canadiens à avoir complété l’intégralité du Dragon’s Spine. Et nous espérons que plusieurs suivront!


Quelques statistiques

Distance totale : 3830 km

Gain d’élévation total : 53 475 m

Nombre de jours sur le vélo : 55

Kilométrage moyen quotidien : environ 70 km

Dénivelé quotidien franchi : près de 1000 m

Période : de mars à mai 2017 (le visa de tourisme en Afrique du Sud pour les Canadiens est d’une durée de 3 mois
Nombre de bières : bah… quelques centaines à deux!

9 sections :
    ◦    Le sentier des Baobabs

    ◦    Le Bushveld

    ◦    Les régions forestières

    ◦    Le sentier des Champs-de-Bataille

    ◦    Le toit de l’Afrique

    ◦    Le sentier de la Guerre

    ◦    Le Grand Karoo

    ◦    Le sentier des Montagnes-Plissées

    ◦    Le sentier du Plus-Beau-Cap



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Conseils pour rouler sur le Dragon’s Spine

    •    Voyager léger! Pouvoir soulever son vélo est un must pour franchir toutes les barrières.

    •    Opter pour de l’équipement de bikepacking plutôt que des sacoches de cyclotourisme traditionnel.

    •    Le guide du Dragon’s Spine a été publié en 2012, mais plusieurs sections sont déjà obsolètes. Ça rajoute du piquant à l’aventure, mais il faut faire preuve de créativité et d’ouverture d’esprit.

    •    Les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. En Afrique du Sud comme partout ailleurs, plusieurs se font décourageants en affirmant que tel ou tel endroit est trop dangereux. En demeurant prudents, nous en avons souvent fait à notre tête et en avons gardé les meilleurs souvenirs. Bref, il faut savoir doser les conseils qu’on reçoit!



Pour aller plus loin

    •    Riding the Dragon’s Spine, par David Bristow et Steve Thomas (2012), Random House Struik

    •    bikepacking.com

    •    Page Facebook de l’aventure; une prochaine expé est en préparation : nous répondrons à toutes vos questions par messagerie privée.


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