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Femmes d’aventuriers : Pour le meilleur…

Quand l’être aimé s’attaque aux plus périlleuses aventures, vaut mieux avoir les reins solides. Et aussi avoir une patience à toute épreuve. Pour les femmes qui partagent la vie de ces hommes, le quotidien n’est pas de tout repos.

« Comment tu fais pour convaincre ta femme de te laisser partir? » Cette question, l’alpiniste Maxime Jean se la fait poser régulièrement lors de ses conférences. « Si j’avais à convaincre ma femme de me donner des « Air Lousses » pour partir, ça ne marcherait pas. Elle comprend ma passion et je n’ai pas à la persuader », rétorque sereinement l’aventurier. Conseillère en orientation dans une école de formation professionnelle, le quotidien d’Hélène Bernier est loin d’être semblable à celui de son mari. Aussi amatrice de plein air, c’est plutôt la voile qui la fait vibrer. Son intérêt marqué pour ce sport nautique lui permet de comprendre ce qui anime tant son conjoint : « Je pense qu’il faut avoir une passion similaire pour comprendre jusqu’où ça peut mener. Il faut se rappeler qu’avant de se connaître, on a une vie. Quand on est en couple, c’est correct de faire des concessions. Mais on ne peut pas empêcher quelqu’un de réaliser son rêve, surtout si son rêve l’a mené à être celui qu’il est aujourd’hui », souligne-t-elle.

Annie Malenfant, optométriste et mère de trois enfants, est mariée à Gabriel Filippi, un alpiniste qui associe ses ascensions à des œuvres caritatives. Pour elle, l’idée de partager sa vie avec son conjoint sans consentir à ses expéditions en montagne lui paraît tout à fait saugrenue : « Cette passion, c’est ce qui alimente le feu dans les yeux de Gabriel. Je ne voudrais surtout pas l’éteindre! Je trouve que les gens qui poursuivent leurs rêves, qui vont au bout de leur passion sont très courageux. Il faut respecter ça et saluer leur courage », affirme-t-elle.

Une approche positive

Depuis leurs débuts en montagne, Maxime Jean et Gabriel Filippi sont toujours rentrés à bon port sans trop d’égratignures. Lors de situations critiques, ces deux alpinistes ont pris des décisions rationnelles, faisant passer leur santé et leur désir de vivre avant l’atteinte de leur objectif initial. En 2000, Gabriel a fait demi-tour sur l’Everest en raison d’un problème d’acclimatation. Pas facile de tourner le dos à son plus grand rêve (il a finalement atteint le sommet en 2005). À l’été 2006, Maxime a mis fin à son expédition sur les pentes du K2 alors que son compagnon Mario Dutil et lui étaient menacés par les nombreuses avalanches et chutes de pierres présentes sur la montagne.

Pour leurs conjointes respectives, ce comportement responsable et sécuritaire de leur mari pèse lourd dans la balance. Si elles sont conscientes que la vie en montagne n’est pas de tout repos, elles adoptent une approche positive face aux ascensions. « Gabriel est un grimpeur d’expérience. Je sais qu’il est sécuritaire en montagne et qu’il ne se placerait jamais volontairement dans des situations de danger. J’ai confiance en son jugement », dit Annie Malenfant.

Les questionnements…

Le 26 janvier 2006, le célèbre alpiniste français Jean-Christophe Lafaille disparait en montagne, sur les pentes du Makalu lors d’une tentative hivernale en solitaire. Quelques heures avant d’atteindre son objectif, l’alpiniste n’a soudainement plus donné signe de vie.

Aujourd’hui veuve et mère de deux enfants, Katia Lafaille dit ne rien regretter. Malgré l’immense peine que la disparition de son mari a pu lui causer, elle dit avoir une rage de vivre encore plus forte qu’avant. « Je trouve la montagne toujours aussi belle, cette passion toujours aussi noble et Jean-Christophe toujours aussi exemplaire lors de cette tentative hivernale sur le Makalu. La question avec laquelle j’apprends à vivre est : où est-il? »

C’est cette interrogation et ses dérivés qui causent l’essentiel des difficultés liées au fait d’être la conjointe d’un aventurier. Où se trouve-t-il? Est-il en sécurité? Est-ce que tout se passe bien? Pas toujours facile d'apprivoiser les absences et de gérer l’angoisse du danger. Katia Lafaille raconte : « Au moment de l’ascension sommitale, je ressentais toujours une petite appréhension. Ces moments représentaient l’aboutissement de plusieurs mois d’entraînement, de travail, de sacrifices. Je ne voulais pas qu’à cet instant précis Jean-Christophe repousse trop ses limites pour réussir. Mais globalement, j’étais sereine. »

De son côté, Hélène Bernier indique que les moments les plus difficiles surviennent en soirée, lorsque la maisonnée est calme et le soleil couché. « C’est sûr que j’ai mes petits moments d’inquiétude. C’est normal. Je pense à Maxime quand je me couche le soir et qu’il n’est pas là. Mais avec les enfants et le rythme de vie que le travail et les activés imposent, j’ai peu de temps pour penser à ça. »

Vive la technologie!

Heureusement pour la vie de couple, la technologie est aujourd’hui assez poussée pour permettre de communiquer étroitement, même sur les plus hauts sommets du monde. Téléphones satellites, courriels et messages textes sont désormais de précieux outils qui permettent aux alpinistes de joindre quotidiennement leur famille, peu importe où ils se trouvent.

Comme le remarque Liliane Spector, psychothérapeute et enseignante dans le cadre du Programme de formation en thérapie de couple et de famille au département de psychiatrie de l'Hôpital Général Juif de Montréal, le fait de pouvoir communiquer est très important lorsqu’il est question de gérer l’anxiété : « Psychologiquement, on sait que l’une des choses les plus difficiles à supporter, c’est l’ambigüité. C’est-à-dire ne pas savoir, ne pas avoir de réponse. Il est plus facile de gérer une nouvelle, aussi difficile soit-elle, que de vivre avec l’incertitude. »

L’une des clés du succès réside dans la volonté et la capacité des femmes à poursuivre normalement leurs activités lorsque leurs conjoints partent en expédition. Pas question d’être la femme qui attend patiemment à la maison le retour de son homme! « Ce qui est important, c’est de ne pas s’empêcher de faire des choses parce qu’il n’est pas là. Maxime est déjà parti tout un été en expédition. Les enfants et moi, on est partis aux Îles de la Madeleine. On n’a pas arrêté de vivre. Il ne faut pas! », dit Hélène Bernier.

Pour Katia Lafaille, qui dit n’avoir jamais été attirée par le schéma familial classique ou l’idée de suivre un rythme et des horaires réguliers, continuer à vivre signifiait notamment s’impliquer corps et âme dans les projets de son conjoint. « Je refusais d’être la femme de l’alpiniste, celle qui attend le retour du guerrier à la maison en s’occupant des enfants. Vivre ainsi m’aurait tuée de tristesse, de frustration et d’ennui. Jean-Christophe ne pouvait pas être à cent pour cent dans ses projets en étant parasité par les soucis d’organisation, logistiques et financiers. À des milliers de kilomètres l’un de l’autre, nous formions une cordée virtuelle », se souvient Katia.

Plus de pours que de contres

Les désavantages que semble engendrer la vie que choisissent les alpinistes professionnels paraissent souvent plus nombreux que les avantages. À l’unisson, leurs conjointes répondent qu’il n’en est rien. Par contagion, la passion de leur mari anime en elles un désir profond de vivre.

« Avec Gabriel, l’intensité du moment est toujours très présente. C’est un homme vibrant et passionné. Je dis toujours que Gabriel a une soif de l’immédiat qui est contagieuse. Avec lui, on ne perd pas de temps avec les petits conflits. Je considère qu’il n’y a pas beaucoup de contraintes dans ma relation avec Gabriel », confie Annie Malenfant.

Éprouvée par le sort qu’a réservé la montagne à son mari, Katia Lafaille refuse de céder à la tristesse et la désolation. Pour elle, la passion et la vivacité de son conjoint ont laissé en elle des traces bien profondes. Vivre à fond de caisse n’est plus une option, mais une nécessité : « Je ne veux pas regretter les actes manqués ni me réfugier dans les assurances vie pour me sentir immortelle et rassurée. Je ne sais pas combien de temps je vais vivre ni de quoi je vais mourir. Prendre conscience que l’on n’a pas ce pouvoir, c’est commencer à vivre. »

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