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  • Acuponcture chinoise © Shutterstock

Voyage au coeur de la médecine traditionnelle chinoise

Lors de son récent périple de quatre mois en Asie, notre collaborateur a testé des traitements dans une clinique de médecine traditionnelle en Chine. Voici le récit de son expérience.

Il y a un i dans ma tête. Un i infini qui s'est immiscé dans mon dédale mental, après une séance de plongée en Islande.

Voilà ce que je m'apprêtais à confier au Dr Zhang, alors que je patientais dans sa clinique de Chengdu, cet énorme champignon urbain du sud-ouest chinois. Ma fidèle amie Fei, apprenant le mal qui me frappait, avait arrangé ce rendez-vous. 

Après avoir longuement observé les lieux, animés comme une fourmilière, le Dr Zhang apparut, sarrau blanc et yeux rieurs, et me fit signe d’entrer dans son cabinet, petite pièce munie d’un bureau et de trois lits.

«Désolé pour l’attente, c’est une matinée chargée.»

Son anglais était certes un peu poussif, mais bien meilleur que mes maigres connaissances de mandarin. Il m’invita à retrousser mes manches et plaqua deux doigts sur mes poignets. Il demeurait muet, mais je soupçonnais ce qu'il auscultait: la circulation de mon chi, souffle vital et clef de voûte de la médecine chinoise. 
«Des sifflements dans les oreilles? Je vois...» 

Voyez-vous le i logé dans ma tête, Dr Zhang? Même si tous les spécialistes montréalais assurent ne rien déceler? Le médecin chinois fut catégorique. Pour annihiler ce i, il fallait recourir aux aiguilles.

Il me guida vers le fond du cabinet, où l'un des lits était occupé par une patiente, enduite d'une sorte de boue charbonneuse. Couchée sur le dos, elle tapotait sur son téléphone comme si de rien n’était. 

Le Dr Zhang me pria de m’allonger, puis se mit à tourner autour de moi et, tel un toréador distribuant ses banderilles, planta une rafale d’aiguilles sur tout mon corps. J’avais beau être habitué aux séances d’acupuncture au Québec, les tiges me parurent massives et fichées profondément, à la limite de l’os.

Le Dr Zhang s’éclipsa, me laissant en tête-à-tête avec mes acouphènes et côte à côte avec cette Chinoise barbouillée de boue.

Mes paupières tombèrent lourdement et j’entrai dans un demi-sommeil méditatif. D’abord, j’imaginais que de minces filets de vapeur s’exhalaient des orifices créés par les aiguilles; que mes sifflements suraigus tourbillonnaient, aspirés vers l’extérieur, conjurés à jamais.

Puis, des bribes de mon voyage traversèrent mon esprit, recomposant le chemin qui m’avait conduit jusqu’ici: les ruelles enneigées de Pékin, la Grande muraille en ruines, les cimes embrumées des monts Hua, les salons de thé bondés… jusqu’à ce qu’une sonnerie stridente ne me tirât abruptement de ces pensées. Ma voisine de lit décrocha son téléphone et se mit à converser à tue-tête. Cette nuisance ne fit qu’inaugurer une série de sons incongrus, émanant de toute la clinique: crépitements, interjections, déversements…

À peine me demandai-je quels rituels magiques se pratiquaient ici, que résonna une succession de bruits de succion, comme si on décollait des ventouses gigantesques d’un corps flasque! Point de sorcellerie, pourtant ; seulement une séance de cupping – une méthode de poses de ventouses provoquant des afflux sanguins, à laquelle eut recours le nageur Michael Phelps. Finalement, le vacarme surréaliste cessa et le Dr Zhang réapparut (après trente minutes? Deux heures? J’avais perdu la notion du temps).

«Comment te sens-tu?»

Je décrivis les modulations de mes acouphènes pendant le traitement. Il hocha la tête et me glissa quelques curieuses recommandations: pratiquer la méditation, m’intéresser au tao, privilégier les aliments de couleur noire.

Les soucis partent en fumée

Une tête fit soudain son apparition dans le cabinet: celle de Xian-Xian, la conjointe du Dr Zhang, elle-même thérapeute et spécialisée en moxibustion. Oubliez le dictionnaire, continuez plutôt votre lecture. 

Et me voici à plat ventre sur un autre lit, à côté d’une sorte de porte-manteau muni de bras et de pinces articulées. Xian-Xian y inséra des bâtonnets, semblables à des cigares, qu’elle alluma. Composés d’armoise, ils dégageaient une épaisse fumée, âcre mais agréable. Les bouts rougeoyants de cinq ou six bâtons furent ainsi placés au ras de mon dos et de mes jambes, effleurant des points d’acupuncture.

« Quand trop chaud, toi dire trop chaud », avertit Xian-Xian.

« Trop chaud!!! » répliquai-je immédiatement. 

Une fois des distances raisonnables trouvées, on enferma mes pieds dans une espèce de boîte en bois, où se consumait une poudre d’armoise. Le rituel avait de vagues airs de torture chinoise, mais ses effets furent absolument inverses: cette constellation de points de chaleur me plongea dans un sommeil si profond qu’un filet de bave coula de mes lèvres.

Il n’en fallut pas davantage pour me convaincre du considérable pouvoir relaxant de cette technique traditionnelle. 

À mon réveil, Xian-Xian ajouta ses recommandations à celles de Dr Zhang, en me servant une énième tasse de kucha, une infusion de céréales : éviter le froid à tout prix, y compris sous forme de nourriture et de boisson, jusqu’au lendemain.

Tout ceci suffit-il à éradiquer mon i ? Que nenni. Mais c'est avec une énergie renouvelée, et surtout le sentiment d'avoir vécu des moments précieux et inédits, que je quittai cette étrange clinique et son ballet de ventouses, de boue, de fumée et d'aiguilles. Merci pour cette stimulation du chi, Dr Zhang. Plus que jamais, me voici piqué de l'envie d'aller conquérir les plus hauts sommets de Chine.

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